PROLOGUE
Toujours
il frissonnait.
N'était
pas en cause le froid des bas-fonds de la cité. Ce n'était pas non
plus la pluie glacée qui ruisselait le long des parois d'acier. Le
métal ne rayonnait d'aucune chaleur. Même en s'appuyant contre lui
depuis plusieurs minutes, sa température corporelle ne s'y
imprégnait pas. Au contraire, l'humidité des conduits de
refroidissement formait une pellicule de givre sur son bras
tremblant, et gagnait ses os. La température artificiellement
négative changeait les gouttes acides en cristaux de glace sitôt
qu'elles touchaient le sol torturé. Le gel s'emparait de ses
haillons et les durcissait, et il se doutait que les ôter allait
également le priver de certaines portions de sa peau. Il s'en
moquait.
Toujours
il frissonnait.
Non
pas qu'il eut peur de quelque chose. L'obscurité coulait le long de
son corps comme un flot d'huile lorsque, dans un silence quasi-total,
il la parcourait. Le fait d'y avoir toujours vécu le préservait des
spectres et des sons que "d'autres", aux aguets, croyaient
voir et entendre une fois la lumière éteinte. Celle-ci était pour
lui une voisine discrète, peu encline à se montrer à travers une
meurtrière ou un sas. Elle le suivait, accrochant son regard lors de
ses courses solitaires entre les blocs d'habitation et les spires
industrielles. Seul ce grand astre accroché dans le ciel gris
faisait office de source lumineuse constante, diffusant une couronne
d'un bleu terne et malade. A quelques rares occasions lui avait-on
fait remarquer que ses yeux avaient la même couleur. Cela aussi, il
s'en fichait éperdument.
Toujours
il frissonnait.
Haletant,
il déglutit en forçant son cœur à ralentir. Insolemment, ce
dernier n'obéit guère et accéléra durant une brève poussée qui
faillit le mettre à terre. Même s'il ne le ressentait pas, le froid
gagnait son corps et il savait que les secondes le rapprochaient d'un
risque, alors qu'elles s'écoulaient. Sa main gauche serrait toujours
l'écharde métallique, et une crampe assaillait désormais son
poignet crispé. Relâchant ses muscles et inspirant à fond un air
vicié, il se redressa enfin face au ciel. Ses dents reflétèrent
l'éclat chétif de l'astre suspendu entre les tours alors qu'il
souriait. La pluie froide qui heurtait son visage offrait un
contraste tellement agréable avec la chaleur qui noyait ses pieds
nus...
Il
libéra enfin l'air prisonnier de ses poumons et écarta les doigts
pour laisser choir son couteau improvisé qui heurta le sol dans un
"ploc" humide. Un faible rire, guère plus qu'un hoquet
suffoqué digne d'un mourant, agita son corps de spasmes alors que
les tremblements reprenaient de plus belle.
Toujours
il frissonnait, lorsqu'il égorgeait.
*
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