Chapitre
XIV
Aphorisme
Il
n'était entré dans ce lieu que sur ordre direct, et se rappelait
chacune de ces occasions. Peu de choses avaient offert à Numéro
Neuf un semblant d'admiration depuis le début de cette nouvelle vie.
La chapelle de l'Aborrhent était l'une de ces choses. D'une
taille modeste, elle était bâtie selon une configuration
typiquement impériale. Des arches de pierre, gravées de textes en
gothique et en nostramien, surplombaient des étagères où trônaient
des ouvrages aux tranches aussi diverses que variées. Soigneusement
rangés, ils côtoyaient des objets mystérieux et des pièces
d'armure.
Des
servo-crânes glissaient silencieusement le long des murs tapissés
de feuillets et de parchemins dont les parfums huilés conféraient à
l'endroit une atmosphère pieuse et contemplative. Leurs appendices
délicats, à mille lieues des greffes grossières des serviteurs de
maintenance, leur servaient à déplacer les précieux ouvrages et à
accéder aux alcôves creusées dans la pierre, où ils rallumaient
les bougies qui inondaient les lieux d'une couleur rouge sang.
Comme
pour contrer la chaleur des cierges, un grand vitrail ornait l'autel
principal, découpé en nuances de gris et de bleu. Il représentait
la venue de l'Empereur sur Nostramo, des nuages dorés surplombant sa
silhouette parfaite. Il offrait sa main au Night Haunter, à Konrad
Curze, comme pour le relever de l'astre noir qui composait la partie
basse du vitrail. Celle-ci était parcourue de runes nostramiennes,
composant la phrase Viris
colratha dath,
qui, traduite en gothique, disait Fils
de notre père.
Numéro
Neuf avait remarqué cette maxime dès sa première visite et s'était
toujours interrogé à son sujet. La porte se ferma derrière lui, et
il constata que Veryn restait dos à celle-ci. De ses yeux noirs, il
fixa Numéro Neuf et lui indiqua d'un léger coup de menton l'autel
face à lui. La silhouette du Chapelain Corten reflétait l'éclat
rouge des bougies, alors qu'il était penché sur un grimoire en
compagnie de plusieurs servo-crânes.
Sa
voix était, comme à son habitude, calme et parfaitement claire.
-
Approche, Numéro Neuf.
Il
s'exécuta, longeant les murs où les ombres tremblantes livraient
une bataille silencieuse. Le Chapelain Corten ne portait pas
d'armure, mais des robes noires rehaussées de soie bleue nuit. Ses
mains sèches effleuraient avec précaution des pages plus sèches
encore, noyées de texte et d'enluminures. Les servo-crânes
flottèrent sur le côté pour laisser passer le nouvel arrivant, non
sans tourner vers lui leur regard artificiel.
-
Chef de section au rapport, Maître-Chapelain, dit Numéro Neuf d'une
voix assurée, les doigts recourbés sur son cœur.
Corten
laissa planer quelques secondes de silence, concentré sur sa
lecture, avant de prendre une inspiration et de se redresser de toute
sa stature. Même en robes, il était impressionnant. Son regard
trahissait une noblesse empreinte d'intolérance. Numéro Neuf
imaginait qu'il en allait de même pour tous les Chapelains.
-
Doutes-tu, Halek de Nostramo ?
Entendre
son prénom fut comme un coup de poing à l'estomac. Il ne savait
depuis combien de temps il était devenu Numéro Neuf. Qui avait
prononcé ce nom pour la dernière fois ? Qui se souvenait de
lui ? Qui se souviendrait
de lui ?
Halek
chercha ses mots, avant de ramener son regard sur le Chapelain.
-
Maître-Chapelain, mon âme ne nourrit aucun doute et n'est sujette à
aucune crainte.
Corten
croisa les bras sur sa poitrine, découvrant des muscles si tendus
qu' Halek ne put s'empêcher d'imaginer qu'ils réduiraient son crâne
en bouillie en un battement de cils si son maître le souhaitait.
-
Tu parles avec assurance, initié, mais ton corps te trahit. Dans le
bleu de tes yeux, je lis le mensonge et la honte que celui-ci
provoque dans ton cœur. En ce lieu, réceptacle de la connaissance
et du credo impérial, n'aie aucune crainte quant aux maux qui te
rongent. Ma fonction n'est pas plus de punir et exécuter que
d'écouter et guider. La présence de Veryn ne doit pas te troubler.
Il est aussi aiguisé que moi, mais il est un bon commandant. Un bon
commandant doit écouter, et se faire écouter. Je te le redemande,
sous le regard de notre Empereur et de notre Père. Doutes-tu, Halek
de Nostramo ?
Halek
tourna son regard sur le vitrail. Il ne pouvait mentir à nouveau, et
fuir n'était pas dans sa nature de toute façon. Les traits du Night
Haunter étaient taillés en un visage calme, comme si la présence
de l'Empereur balayait ses doutes et qu'il avait pris son envol vers
les étoiles la conscience tranquille. A bien y réfléchir, la
situation d'Halek n'était pas si différente.
-
J'ai grandi en tueur, Maître-Chapelain. Nous avons tous grandi en
tueurs. Chacun de nous a vécu dans un gang, nous n'avions ni foi, ni
loi, ni principes. Nous étions égoïstes, lâches. Je ne doute pas
de notre présence sur ce vaisseau, je loue l'enseignement de nos
maîtres. Je m'interroge, et mes camarades aussi, sur le but ultime
de cette entreprise. Nous sommes dix. Je ne m'explique pas pourquoi
la légion met en œuvre un vaisseau dirigé par d'éminents fils de
Konrad Curze pour dix adolescents nostramiens, Maître-Chapelain.
Corten
soutint son regard et Halek fut horrifié à l'idée d'avoir
involontairement remis en cause une décision de la légion. Sur le
visage du Chapelain se dessina un mince sourire.
-
Tes incertitudes et celles de tes hommes sont pertinentes, initié.
Il
posa une main sur le grimoire devant lui.
-
Le passé nous offre des enseignements. Notre Père, loué soit-il, a
combattu toute sa vie pour faire de Nostramo une planète où régnait
l'ordre et où justice était rendue avec impartialité. J'ai
combattu d'innombrables ennemis de l'Impérium, dans l'ombre et la
lumière, dans des cités et des déserts. La légion a eu besoin de
compenser ses pertes mais Nostramo ne nous envoyait plus que des
recrues sans essence, non prometteuses. Il est vite apparu que les
Astartes que nous formions ne ressemblaient en rien aux natifs de
Nostramo qui avaient vécu sous le règne de notre Père. Il en a
déduit que la société était redevenue comme avant, gangrenée et
désordonnée.
Corten
leva les yeux vers le vitrail, ses yeux noirs reflétant les motifs
irréguliers du cristal.
-
Nos tactiques au combat souffraient d'une baisse d'efficacité. Les
mentalités de certains éléments étaient trop excentriques dans
leur philosophie pour être jugés dignes de l'héritage de notre
Père. Cette situation le poussa à remanier notre processus de
sélection, l'articulant sur des profils particuliers afin de mettre
sur pied une force de frappe marginale, d'un concept nouveau, qui
ferait des enseignements primordiaux de notre Père son essence même.
Cruauté, impartialité, domination.
Dans
sa prescience, notre Père sait que bientôt, même ce nouveau bras
armé sera pollué à son tour. Sa volonté était que je trouve un
engrais idéal et assure sa pérennité à travers le recrutement des
novices.
D'un
geste de la main, il ordonna à l'un des servo-crânes d'approcher.
Celui-ci se plaça face à Halek et projeta par son œil bionique une
liste de profils de jeunes nostramiens. Parmi eux, les visages
familiers de ceux qui constituaient son groupe, mais aussi tous ceux
qui étaient morts depuis leur arrivée.
-
Si vous avez été choisis, c'est parce que vous avez été suivis,
analysés dans vos actes et vos paroles et jugés aptes à devenir
cette nouvelle force de frappe dont notre Père a besoin. Vos
capacités, mais aussi vos désirs n'ont aucun secret pour nous. Je
sais que tu as tué ton précepteur dans une allée humide et froide,
et que tu l'as fait par plaisir. C'est pour la nature même de ce que
vous êtes, que vous avez été choisis. Votre formation, par sa
spécialisation, nécessitait la présence de l'Archiviste Lebian,
pour veiller au suivi de votre psyché et vous mettre face à des
situations inattendues.
Halek
en était bouche bée. Depuis tout ce temps, depuis bien avant qu'il
intègre le gang des Barbelés, il était suivi et scruté. Une
recherche aussi méticuleuse rendait les mots du Chapelain encore
plus lourds de sens. Un sentiment nouveau, qui pouvait s'apparenter à
de la fierté, gonfla sa poitrine. Il réalisa le chemin parcouru, et
la longue route qui se dessinait devant lui.
-
Nous n'allons...plus mourir, Maître-Chapelain ? Demanda-t-il.
Au
bout de la pièce, Veryn ne put retenir un petit rire étouffé.
-
Vous êtes arrivés au nombre de dix, une section complète commandée
par un chef. Dans deux rotations aura lieu votre épreuve finale. Si
vous échouez, vous mourrez. Si vous réussissez, vous entamerez le
processus d'implantation des glandes progénoïdes.
Halek
en eut le souffle coupé. Cela impliquait directement les initiés
dans le processus de sauvegarde du patrimoine génétique Astartes.
Corten lisait sa confusion.
-
Vous allez devenir des Astartes à part entière. Dans votre corps
sera inscrit le patrimoine qui nous unit à notre Père. Veryn,
Lebian et moi ne serons plus vos Maîtres, mais vos Frères. Vous ne
serez plus amenés à effectuer des tâches ingrates. Votre
entraînement deviendra bien plus dur encore, mais vous évoluerez
dans un monde totalement différent de l'étroitesse de ces murs.
Corten
laissa s'écouler quelques secondes, attentif aux yeux agités
d'Halek, alors qu'il réalisait le poids de cette révélation.
-
Doutes-tu, Halek de Nostramo ?
Veryn
avança de quelques pas derrière les colonnes, tel un prédateur
faisant planer une menace sur les mots que choisirait l'initié. Le
jeune nostramien regarda à nouveau le vitrail, dont il se sentait
désormais beaucoup plus proche.
-
« Fils de notre père » murmura Halek.
La
lumière vive de l'étoile nostramienne perça sur le flanc du
vaisseau, illuminant la silhouette dorée de l'Empereur de façon
aveuglante. En-dessous de lui, le Night Haunter semblait plus sombre
encore. Halek leva une main vers le vitrail.
-
Maître-Chapelain, de quel Père sommes-nous les fils ?
Leurs
regards se croisèrent, les yeux perçants du Chapelain surplombant
un rictus intéressé.
-
Si tu survis à ton épreuve, je te chargerai de trouver la réponse
à cette question.
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