dimanche 19 juillet 2020

Chapitre XIII - Gloire et Honneur




Chapitre XIII

Gloire et honneur









La sombre masse de Nostramo emplissait la totalité du hublot. Ce petit espace de verre blindé, aux bords sales et rayés, était la seule chose que les initiés pouvaient qualifier de « vue » sur l'extérieur. Quand parfois ils appuyaient leur front ou posaient une main contre le cadre métallique, ils avaient l'impression que le froid de l'espace suintait par la coque.

Aucun ne savait plus depuis combien de temps l'Aborrhent était devenu leur foyer. Ils ne pouvaient que compter le nombre de néophytes morts depuis leur arrivée. De quarante-six au départ, ils étaient tombés à dix. A l'époque, Numéro Neuf avait estimé qu'il y aurait eu autant de survivants que de doigts sur une main. Cependant, cela faisait longtemps maintenant que ses dix acolytes et lui évoluaient ensemble, et leur cohabitation difficile n'empêcha pas une cohésion forte et efficace de se créer au combat.

Numéro Neuf faisait son possible pour entretenir un lien et faire en sorte que le petit groupe fonctionne en accord avec les enseignements de ses supérieurs. Ces derniers ne tombaient pas toujours d'accord et les directives de l'un pouvaient se changer en réprimandes par un autre. Assis sur son lit, une simple banquette en métal, il se demanda si toutes les légions fonctionnaient ainsi. Fussent-ils membres d'une autre légion, les discordes auraient-elles été si criantes ? Sa rêverie fut de courte durée. Il en fut tiré par les jurons de Numéro Trois, qui s'exposait dos nu au rayon lumineux qui perçait par le hublot. Régulièrement, le vaisseau évoluait autour de Nostramo et de Tenebor, lors de manœuvres d'essais et d'entraînement. Ces opérations l'emmenaient assez loin pour que l'éclipse perpétuelle qui privait la planète de lumière soit contournée. L'éclat de l'étoile leur paraissait alors, et il fallut du temps à certains pour supporter la douleur de son intensité.

Avec le temps, il était devenu courant de s'exposer volontairement à la lumière pour s'accoutumer à sa présence, ou repousser ses limites physiques. Numéro Trois exposait son dos depuis un bon moment maintenant, et sa peau d'albâtre avait souffert de l'exposition sans filtre aux rayons agressifs de l'étoile mourante.
Numéro Neuf réprima un hoquet douloureux. Ses blessures étaient guéries mais réguler la présence d'un troisième poumon n'était pas chose facile. Il s'appuya contre la paroi et laissa son regard dériver sur la cabine qu'ils partageaient tous.

Numéro Vingt-quatre était à son côté, nettoyant précautionneusement son matériel. Bien qu'ils ne soient dotés que d'armures légères dans un état douteux, il était de leur devoir de les entretenir. Les initiés avaient vite compris qu'ils allaient devoir travailler ensemble à leur propre survie. Après que Numéro Neuf ait été désigné comme chef de section, il avait instauré une rotation dans l'entretien des armures. Chacun remettait en disposition de combat l'armure d'un autre initié. Sans le réaliser de prime abord, Numéro Neuf avait instillé une valeur précieuse et presque imaginaire au sein d'un groupe de gangsters de Nostramo : la confiance.

Numéro Huit jouait sur ses articulations, lançant régulièrement des piques d'humour à l'attention de Numéro Trois. Veryn, dans sa grande originalité, les surnommait « les jumeaux » à cause de leurs origines communes, un gang de Notramo Secundus.

- Ne va pas me faire croire que tu as mal après ce que le Maître-Archiviste t'a fait subir ? lança Numéro Huit.

- Nous a fait subir, le reprit Numéro Quarante-six. On a tous fini avec du sang encroûté dans les poumons alors ne fais pas le malin, Huit.

La voix de Numéro Vingt-neuf, râpeuse, semblait perdue dans des pensées profondes.

- Il y a bien une raison pour que la légion se prive d'un Archiviste. Nous sommes une dizaine seulement, sur un vaisseau de combat qui devrait être au milieu d'une flotte.
Par l'enfer, Trois, retourne t'asseoir. Ta peau sale pue le cramé.

L'interpellé s'exécuta, rattrapant la conversation au vol.

- Je pense que nous évoluons hors du schéma de recrutement Astartes standard. Trop de moyens...
Il but une gorgée d'eau et ne se priva pas de roter avant de cracher une salive sanglante.

- Trop de moyens, reprit-il, et pas assez d'hommes.

- Tu nous crois exceptionnels ? Demanda Numéro Treize dans un rire moqueur alors qu'il affûtait sa lame.

- Pourquoi notre Maître-Archiviste serait-il là, sinon ?

Numéro Neuf ne dit rien pour alimenter la conversation mais lui concéda ce point. La caste du Librarius était minoritaire, sinon dérisoire au sein de la huitième légion. Il était pourtant clair que les aptitudes d'un Archiviste étaient un atout stratégique majeur.

La porte de la cabine coulissa bruyamment. Tous se dressèrent et saluèrent le nouveau venu, en portant une main griffue sur le cœur.
Le bourdonnement de l'armure énergétique ajouta à l'atmosphère inanimée du vaisseau une note menaçante. L'encadrement de la porte était à peine assez large pour laisser passer un Astartes, mais Veryn ne se souciait guère des rayures qu'il laisserait derrière lui. La lumière du hublot provoqua des reflets gênants sur les bordures en bronze de son armure. Il portait son casque. Comme à son habitude, il avait peint un crâne grossier par-dessus les anciens motifs de sa plaque faciale. Sa voix était devenue une chose que beaucoup dans la pièce détestaient, moins pour son timbre que pour ses tirades d'humour noir.

- Je viens d'apprendre que vous avez tué notre Archiviste lors du dernier entraînement. Voilà qui est fâcheux. Chef de section, as-tu des détails à m'apporter ?

- Nous avons essuyé de plein fouet un orage psychique, Seigneur. Nous avons progressé de façon méthodique en suivant scrupuleusement vos préceptes, mais nous sommes sortis du cadre de la mission avant même qu'elle ne débute, en misant sur un échec programmé pour atteindre l'objectif quand il s'y attend le moins. La mise à mort revient à Numéro Trois.

Le casque de Veryn remua de droite à gauche dans un geste de désaccord.

- Non. La mise à mort vous revient à tous. Trois peut s'attribuer le succès de la mission si ça lui chante, mais il serait mort seul comme un idiot si vous n'aviez pas opéré en synergie, sous un commandement clair et avec un esprit sans doute. N'oubliez jamais que votre efficacité au combat repose sur des facteurs clés. La cohésion, la préparation, l'appréhension du moment et la conscience de votre objectif et de votre environnement. La gloire personnelle est une vanité et une folie. Laissez ça aux fous trop heureux de mourir jusqu'au dernier au nom d'un symbole ou d'une bannière. Laissez ça à ceux qui se targuent de mener des gangs misérables ou aux légions Astartes versées dans le décorum.

- Oui, monseigneur, répondirent ensemble les initiés.

- Bien, cependant un peu d'honneur et de gloire ne font pas de mal de temps en temps. Puisque c'est l'un d'entre vous qui a mené avec succès l'assassinat de notre Archiviste local, à lui revient une récompense digne de ce nom.

Les têtes se tournèrent imperceptiblement vers Numéro Trois, qui se sentit d'un coup comme galvanisé par les mots de Veryn. Ce dernier porta la main à sa ceinture et déverrouilla l'arme qui y était accrochée. Il s'agissait d'un pistolet. Sa taille dans la main d'un Astartes n'avait rien de surprenant, mais Numéro Trois dut la porter à deux mains et ploya presque le genou quand Veryn la lui lança.

Tous reconnurent un pistolet à plasma. Bien qu'aucun d'entre eux ne soit récipiendaire d'une arme sacrée de l'Adeptus Astartes, ils connaissaient l'arsenal auquel les fils de l'Empereur avaient accès. D'après sa couleur et l'état du métal, il avait un certain âge et Veryn ne l'entretenait que de manière pragmatique sans soin particulier.

- Voilà ta récompense, tu me changeras les bobines de refroidissement. Débrouille-toi pour les pièces et la procédure de démontage. Il y a des tas de serviteurs à bord, tu as largement de quoi t'occuper de ça et me le rapporter en bon état d'ici trois heures.

Une fois de plus, l'Astartes savait se faire détester, et il était clair que cela l'amusait. Malgré cette haine, tous savaient au fond d'eux que cela leur serait bénéfique, que le travail psychologique auquel ils étaient soumis valait autant, sinon plus, que le travail physique.


- Chef de section, en tenue réglementaire, ordonna Veryn. Rejoins-moi dans la coursive. Tu as deux minutes. Le Chapelain Corten ordonne ta présence.





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