mercredi 15 juillet 2020

Chapitre IX - Critérium




Chapitre IX

Critérium









Ils étaient alignés, pieds nus, sur le sol en métal. Leurs cheveux étaient rasés, certains tremblaient de froid. Chacun portait un vêtement en tissu, au maillage fin d’un noir absolu. Sur leur poitrine était brodé un numéro allant de un à quarante-six en runes nostramiennes. Halek avait fini par deviner où il était, et il savait que ses voisins venaient du même endroit que lui. Tous savaient que dorénavant, leur vie arpentait un chemin mortel et galvanisant. Etre choisi par la légion pour en intégrer les rangs apparut à Halek comme une contradiction puissante née d’une ambition toute nouvelle liée à une soif de vivre qu’il n’avait jamais ressenti, et d’une horreur farouche et animale animée par la peur de la mort. Car bien entendu, Halek savait qu’il n’y avait pas quarante-six places au bout du tunnel. Il estimait qu’il y en avait deux, peut-être trois.

Il jaugea ses nouveaux camarades d’infortune. Tous étaient nostramiens et, bien sûr, ils avaient tout de suite remarqué qu’il n’était pas comme eux. Halek se savait trahi par ses yeux, et il s’accommoda vite du fait d’être, encore et toujours, le paria du groupe. Après avoir laissé son regard parcourir le hangar austère dans laquelle ils se tenaient tous, Halek recentra son attention sur les autres adolescents avec lesquels il se retrouvait coincé. Tous se jaugeaient du regard, se penchant de droite et de gauche pour s'analyser sans mot dire. Le numéro deux avait des cicatrices au visage, le numéro dix avait un corps si mince qu’il aurait suffi d’une bourrasque pour le briser en morceaux, à l’opposé de la masse de muscles qu’était le numéro quatorze. Rien n’aurait pu indiquer que les numéros trois et huit se connaissaient s’ils n’avaient pas eu la marque de leur gang marquée au fer dans leur cou.

Les autres étaient trop loin pour qu' Halek ne distingue quoi que ce soit de concret, mais de toute manière le son d'une porte coulissante fit cesser toute agitation. Du sombre encadrement se détachèrent deux géants. Chacun de leurs pas faisait trembler le sol alors qu'ils avançaient vers les adolescents. La seule chose que l'on pouvait distinguer chez eux était la paire d'yeux écarlates qui leur donnait un air de sinistres rois dans cet environnement creux et froid. Halek reconnut sans peine ce qu'il avait pris pour des voyants d'alarme dans le repaire de son ancien maître, comprenant que ces yeux étaient ceux qui l'observaient sur les Falaises.

Quand le premier d'entre eux apparut à la faible lueur du hangar, sa véritable taille fut révélée à tous aussi sûrement que son implacabilité. Il mesurait bien plus de deux mètres de haut. Il portait des plaques d'armure d'un bleu noir comme la nuit, sanglées sur un uniforme plus sombre encore. Son plastron arborait un aigle bicéphale en bronze, un symbole que tous ici connaissaient. Le symbole de l'Imperium de l'Humanité. Sur ses épaules étaient déployées des ailes rouges sang encadrant un crâne aux crocs acérés, surplombés du chiffre 8 en lettres gothiques. Un faciès mortifère était peint en blanc sans soin particulier sur la face avant de son casque.

L'imposant guerrier se mit à marcher le long de la colonne d'enfants, qui paraissaient ridicules face à lui. Chaque pas ressemblait à une onde de choc sondant chaque esprit. Il fit l'aller-retour, passant devant chacun des quarante-six adolescents alors que de son casque émanait un son parasite, trahissant sa conversation par radio avec, sans doute, celui qui était resté dans l'ombre. Il revint enfin se planter devant eux, et porta les mains à son casque qu'il déverrouilla avec une simple rotation.

Le visage ainsi découvert était pâle comme la mort. Sa tête était soutenue par un cou puissant et tendu le long duquel couraient plusieurs cicatrices. Son front était tatoué de runes ceignant son crâne chauve, et surmontait des yeux nostramiens, d'un noir abyssal. Le guerrier verrouilla son casque à sa ceinture dans un son magnétique, et fit craquer sa nuque d'un roulement de tête.

Halek n'avait pas besoin de connaître la nature de cet individu pour savoir ce qu'il était. Sa mère, que cette pensée ramena dans sa mémoire, lui avait parlé des fils génétiques de l'Empereur. Jadis des humains, ils composaient l'élite de ses armées, après avoir subi maintes épreuves et modifications génétiques. Il était un transhumain. Halek avait devant lui un Astartes.

Ce dernier prit une longue inspiration puis ouvrit ses lèvres d'un violet pâle, découvrant des dents limées en pointe.

- Vous êtes ce que notre monde a de plus médiocre.
Sa voix était rocailleuse et, malgré le fait qu'il parlât seulement, tous l'entendaient très clairement. Son accent mâché trahissait des origines peu élevées dans la société nostramienne.

- Vous avez tous grandi sur Nostramo, notre bien aimée planète. Aucun d'entre vous ne mérite de devenir Seigneur, Gouverneur ou Archi-régent. Vous n'êtes rien ni personne et votre seul talent se résume à ramper dans la bassesse la plus crasseuse du genre humain... Félicitations.

Ce compliment ne possédait pas l'ombre d'une réjouissance.

- Mon nom est Veryn. Je suis né sur Nostramo dans une autre vie. Cette époque prit fin lorsque j'ai eu l'honneur d'intégrer les rangs des légions Astartes au sein de la VIIIème légion, celle de notre père, le Seigneur Curze, le Night Haunter. L'endroit où vous vous tenez a vu passer des centaines de novices comme vous. Dans très longtemps, peut-être que certains d'entre vous auront l'opportunité de m'appeler « frère ».

En un battement de cils, il tira de son fourreau un poignard immense et, une demi-seconde plus tard, numéro 22 était empalé par le cou au mur derrière lui dans une éclaboussure sanglante.

- Ou bien, vous mourrez tous, comme votre ami, dit Veryn sur un ton féroce en se mettant à marcher en courts allers-retours face aux jeunes visages qui désormais gardaient le regard fixé devant eux. Je vous ai observé, choisis, pour faire de vous les êtres les plus craints et les plus puissants de la galaxie ! Vous allez subir les pires épreuves et les pires agonies possibles. Si vous devez marcher au combat drapés de nuit, ce ne sera qu'après avoir prouvé que votre loyauté, vos compétences et votre mental dépassent mes attentes.

Veryn marcha vers le mur ensanglanté et tira sur son poignard d'un coup sec, faisant tomber le cadavre comme un chiffon avant de lever la lame à ses lèvres pour en lécher le sang. Avec un rictus mauvais, le géant ramassa le corps sans vie et le brandit sans effort face à ses recrues.

- Ceci est tout ce qui restera de vous quand vous échouerez, et beaucoup échoueront. Votre enseignement comportera la connaissance des légions Astartes, l'initiation aux tactiques de combat, la maîtrise des arts de la guerre, l'entretien de votre matériel et, en de rares occasions, à l'étude et au respect des enseignements...philosophiques de la VIIIème légion.


A ces mots, le second géant que tous avaient oublié, s'avança hors de l'ombre. Halek en fut presque bouche bée. Contrairement à Veryn, l'Astartes devant lui portait une armure beaucoup plus lourde et intégralement noire, d'une beauté formelle et résultant à n'en pas douter d'un travail d'orfèvre. Des chaînes et des crânes pendaient en s'entrechoquant de sa ceinture, au-dessus de laquelle, sur l'énorme plastron, trônait également un aigle de bronze. De plusieurs endroits pendaient des parchemins aux inscriptions minuscules, collés à l'amure par de la cire. Il n'était pas une seule portion de sa cuirasse qui n'était marquée par une entaille ou un éclat d'obus.
Son casque n'était pas peint comme celui de Veryn, mais sculpté pour représenter un crâne menaçant qui donnait l'impression qu'il pouvait tout connaître d'un individu en un seul regard.

La voix qui émana du casque sinistre ressemblait à une promesse de mort dans une mer glacée.

- Vous avez été choisis, confinés et transportés dans un endroit dont vous ne ressortirez pas à moins d'être un cadavre, ou un Astartes. Ces murs appartiennent au vaisseau de la VIIIème légion Astartes nommé l'Aborrhent, actuellement en orbite haute au-dessus de Nostramo.
Ainsi que vous l'a sommairement décrit frère Veryn, vous serez soumis durant les prochaines années aux épreuves physiques et psychologiques les plus dangereuses qui soient, pour que vous transcendiez vos limites et deveniez bien plus que de simples rebuts de caniveau. A partir de cet instant, les numéros inscrits sur vos tenues sont votre seule identité. Vos noms ne seront plus jamais prononcés. Ils ont été effacés de tout registre officiel. Ceux d'entre vous qui survivront seront rebaptisés. Si vous échouez à honorer la confiance que je vous accorde en vous tolérant à bord de ce vaisseau, si vous échouez à devenir ce que vous êtes destinés à être, si vous trahissez l'espoir que notre Père place en vous, fils de Nostramo, vous retournerez dans vos familles en brûlant dans l'atmosphère.
Frère Veryn emploiera les méthodes qu'il jugera nécessaire pour faire de vous les guerriers dont notre légion a besoin. Jusqu'à ce que vous soyez devenus Astartes, il est votre seigneur et maître. Chaque faute me sera rapportée immédiatement. Sachez que j'ai fait écorcher vive la population de plusieurs capitales planétaires.

Nul besoin d'en savoir plus. Le frisson qui parcourut Halek fut partagé par tous ses semblables.

Veryn vint se ranger au côté du casque à tête de mort en affichant un sourire narquois, sans prêter attention aux gouttes de sang qui tombaient de ses mains.

- Je suis le Chapelain Corten, reprit le géant en noir d'une voix plus puissante encore. Que vous soyez humains ou Astartes, je serai la mort dans votre ombre. Soyez les guerriers que votre Père appelle à lui, tout comme lui-même fut rappelé par l'Empereur. Vous parcourrez la galaxie, exerçant Sa volonté en suivant les préceptes et la voie du Seigneur Curze ainsi qu'il l'employât jadis sur Nostramo. Vous serez la lame qui saignera les ennemis de l'Humanité aux confins des étoiles. Nous sommes les fils du Night Haunter. Nous sommes la Huitième Légion.

Des paires d'yeux rouges s'éveillèrent tout autour d'eux, sur les côtés et au plafond, loin dans la pénombre du hangar. Veryn remit son casque, ajoutant au faciès blanc des empreintes de sang. La voix de Corten se fit encore plus grave. Il évoquait à Halek un seigneur de la mort entouré de ses démons.



- Nous sommes les Night Lords, et nous sommes venus pour vous.





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