Chapitre
IX
Critérium
Ils
étaient alignés, pieds nus, sur le sol en métal. Leurs cheveux
étaient rasés, certains tremblaient de froid. Chacun portait un
vêtement en tissu, au maillage fin d’un noir absolu. Sur leur
poitrine était brodé un numéro allant de un à quarante-six en
runes nostramiennes. Halek avait fini par deviner où il était, et
il savait que ses voisins venaient du même endroit que lui. Tous
savaient que dorénavant, leur vie arpentait un chemin mortel et
galvanisant. Etre choisi par la légion pour en intégrer les rangs
apparut à Halek comme une contradiction puissante née d’une
ambition toute nouvelle liée à une soif de vivre qu’il n’avait
jamais ressenti, et d’une horreur farouche et animale animée par
la peur de la mort. Car bien entendu, Halek savait qu’il n’y
avait pas quarante-six places au bout du tunnel. Il estimait qu’il
y en avait deux, peut-être trois.
Il
jaugea ses nouveaux camarades d’infortune. Tous étaient
nostramiens et, bien sûr, ils avaient tout de suite remarqué qu’il
n’était pas comme eux. Halek se savait trahi par ses yeux, et il
s’accommoda vite du fait d’être, encore et toujours, le paria du
groupe. Après avoir laissé son regard parcourir le hangar austère
dans laquelle ils se tenaient tous, Halek recentra son attention sur
les autres adolescents avec lesquels il se retrouvait coincé. Tous
se jaugeaient du regard, se penchant de droite et de gauche pour
s'analyser sans mot dire. Le numéro deux avait des cicatrices au
visage, le numéro dix avait un corps si mince qu’il aurait suffi
d’une bourrasque pour le briser en morceaux, à l’opposé de la
masse de muscles qu’était le numéro quatorze. Rien n’aurait pu
indiquer que les numéros trois et huit se connaissaient s’ils
n’avaient pas eu la marque de leur gang marquée au fer dans leur
cou.
Les
autres étaient trop loin pour qu' Halek ne distingue quoi que ce
soit de concret, mais de toute manière le son d'une porte
coulissante fit cesser toute agitation. Du sombre encadrement se
détachèrent deux géants. Chacun de leurs pas faisait trembler le
sol alors qu'ils avançaient vers les adolescents. La seule chose que
l'on pouvait distinguer chez eux était la paire d'yeux écarlates
qui leur donnait un air de sinistres rois dans cet environnement
creux et froid. Halek reconnut sans peine ce qu'il avait pris pour
des voyants d'alarme dans le repaire de son ancien maître,
comprenant que ces yeux étaient ceux qui l'observaient sur les
Falaises.
Quand
le premier d'entre eux apparut à la faible lueur du hangar, sa
véritable taille fut révélée à tous aussi sûrement que son
implacabilité. Il mesurait bien plus de deux mètres de haut. Il
portait des plaques d'armure d'un bleu noir comme la nuit, sanglées
sur un uniforme plus sombre encore. Son plastron arborait un aigle
bicéphale en bronze, un symbole que tous ici connaissaient. Le
symbole de l'Imperium de l'Humanité. Sur ses épaules étaient
déployées des ailes rouges sang encadrant un crâne aux crocs
acérés, surplombés du chiffre 8 en lettres gothiques. Un faciès
mortifère était peint en blanc sans soin particulier sur la face
avant de son casque.
L'imposant
guerrier se mit à marcher le long de la colonne d'enfants, qui
paraissaient ridicules face à lui. Chaque pas ressemblait à une
onde de choc sondant chaque esprit. Il fit l'aller-retour, passant
devant chacun des quarante-six adolescents alors que de son casque
émanait un son parasite, trahissant sa conversation par radio avec,
sans doute, celui qui était resté dans l'ombre. Il revint enfin se
planter devant eux, et porta les mains à son casque qu'il
déverrouilla avec une simple rotation.
Le
visage ainsi découvert était pâle comme la mort. Sa tête était
soutenue par un cou puissant et tendu le long duquel couraient
plusieurs cicatrices. Son front était tatoué de runes ceignant son
crâne chauve, et surmontait des yeux nostramiens, d'un noir abyssal.
Le guerrier verrouilla son casque à sa ceinture dans un son
magnétique, et fit craquer sa nuque d'un roulement de tête.
Halek
n'avait pas besoin de connaître la nature de cet individu pour
savoir ce qu'il était. Sa mère, que cette pensée ramena dans sa
mémoire, lui avait parlé des fils génétiques de l'Empereur. Jadis
des humains, ils composaient l'élite de ses armées, après avoir
subi maintes épreuves et modifications génétiques. Il était un
transhumain. Halek avait devant lui un Astartes.
Ce
dernier prit une longue inspiration puis ouvrit ses lèvres d'un
violet pâle, découvrant des dents limées en pointe.
-
Vous êtes ce que notre monde a de plus médiocre.
Sa
voix était rocailleuse et, malgré le fait qu'il parlât seulement,
tous l'entendaient très clairement. Son accent mâché trahissait
des origines peu élevées dans la société nostramienne.
-
Vous avez tous grandi sur Nostramo, notre bien aimée planète. Aucun
d'entre vous ne mérite de devenir Seigneur, Gouverneur ou
Archi-régent. Vous n'êtes rien ni personne et votre seul talent se
résume à ramper dans la bassesse la plus crasseuse du genre
humain... Félicitations.
Ce
compliment ne possédait pas l'ombre d'une réjouissance.
-
Mon nom est Veryn. Je suis né sur Nostramo dans une autre vie. Cette
époque prit fin lorsque j'ai eu l'honneur d'intégrer les rangs des
légions Astartes au sein de la VIIIème légion, celle de notre
père, le Seigneur Curze, le Night Haunter. L'endroit où vous vous
tenez a vu passer des centaines de novices comme vous. Dans très
longtemps, peut-être que certains d'entre vous auront l'opportunité
de m'appeler « frère ».
En
un battement de cils, il tira de son fourreau un poignard immense et,
une demi-seconde plus tard, numéro 22 était empalé par le cou au
mur derrière lui dans une éclaboussure sanglante.
-
Ou bien, vous mourrez tous, comme votre ami, dit Veryn sur un ton
féroce en se mettant à marcher en courts allers-retours face aux
jeunes visages qui désormais gardaient le regard fixé devant eux.
Je vous ai observé, choisis, pour faire de vous les êtres les plus
craints et les plus puissants de la galaxie ! Vous allez subir
les pires épreuves et les pires agonies possibles. Si vous devez
marcher au combat drapés de nuit, ce ne sera qu'après avoir prouvé
que votre loyauté, vos compétences et votre mental dépassent mes
attentes.
Veryn
marcha vers le mur ensanglanté et tira sur son poignard d'un coup
sec, faisant tomber le cadavre comme un chiffon avant de lever la
lame à ses lèvres pour en lécher le sang. Avec un rictus mauvais,
le géant ramassa le corps sans vie et le brandit sans effort face à
ses recrues.
-
Ceci est tout ce qui restera de vous quand vous échouerez, et
beaucoup échoueront. Votre enseignement comportera la connaissance
des légions Astartes, l'initiation aux tactiques de combat, la
maîtrise des arts de la guerre, l'entretien de votre matériel et,
en de rares occasions, à l'étude et au respect des
enseignements...philosophiques de la VIIIème légion.
A
ces mots, le second géant que tous avaient oublié, s'avança hors
de l'ombre. Halek en fut presque bouche bée. Contrairement à Veryn,
l'Astartes devant lui portait une armure beaucoup plus lourde et
intégralement noire, d'une beauté formelle et résultant à n'en
pas douter d'un travail d'orfèvre. Des chaînes et des crânes
pendaient en s'entrechoquant de sa ceinture, au-dessus de laquelle,
sur l'énorme plastron, trônait également un aigle de bronze. De
plusieurs endroits pendaient des parchemins aux inscriptions
minuscules, collés à l'amure par de la cire. Il n'était pas une
seule portion de sa cuirasse qui n'était marquée par une entaille
ou un éclat d'obus.
Son
casque n'était pas peint comme celui de Veryn, mais sculpté pour
représenter un crâne menaçant qui donnait l'impression qu'il
pouvait tout connaître d'un individu en un seul regard.
La
voix qui émana du casque sinistre ressemblait à une promesse de
mort dans une mer glacée.
-
Vous avez été choisis, confinés et transportés dans un endroit
dont vous ne ressortirez pas à moins d'être un cadavre, ou un
Astartes. Ces murs appartiennent au vaisseau de la VIIIème légion
Astartes nommé l'Aborrhent,
actuellement en orbite haute au-dessus de Nostramo.
Ainsi
que vous l'a sommairement décrit frère Veryn, vous serez soumis
durant les prochaines années aux épreuves physiques et
psychologiques les plus dangereuses qui soient, pour que vous
transcendiez vos limites et deveniez bien plus que de simples rebuts
de caniveau. A partir de cet instant, les numéros inscrits sur vos
tenues sont votre seule identité. Vos noms ne seront plus jamais
prononcés. Ils ont été effacés de tout registre officiel. Ceux
d'entre vous qui survivront seront rebaptisés. Si vous échouez à
honorer la confiance que je vous accorde en vous tolérant à bord de
ce vaisseau, si vous échouez à devenir ce que vous êtes destinés
à être, si vous trahissez l'espoir que notre Père place en vous,
fils de Nostramo, vous retournerez dans vos familles en brûlant dans
l'atmosphère.
Frère
Veryn emploiera les méthodes qu'il jugera nécessaire pour faire de
vous les guerriers dont notre légion a besoin. Jusqu'à ce que vous
soyez devenus Astartes, il est votre seigneur et maître. Chaque
faute me sera rapportée immédiatement. Sachez que j'ai fait
écorcher vive la population de plusieurs capitales planétaires.
Nul
besoin d'en savoir plus. Le frisson qui parcourut Halek fut partagé
par tous ses semblables.
Veryn
vint se ranger au côté du casque à tête de mort en affichant un
sourire narquois, sans prêter attention aux gouttes de sang qui
tombaient de ses mains.
-
Je suis le Chapelain Corten, reprit le géant en noir d'une voix
plus puissante encore. Que vous soyez humains ou Astartes, je serai
la mort dans votre ombre. Soyez les guerriers que votre Père appelle
à lui, tout comme lui-même fut rappelé par l'Empereur. Vous
parcourrez la galaxie, exerçant Sa volonté en suivant les préceptes
et la voie du Seigneur Curze ainsi qu'il l'employât jadis sur
Nostramo. Vous serez la lame qui saignera les ennemis de l'Humanité
aux confins des étoiles. Nous sommes les fils du Night Haunter. Nous
sommes la Huitième Légion.
Des
paires d'yeux rouges s'éveillèrent tout autour d'eux, sur les côtés
et au plafond, loin dans la pénombre du hangar. Veryn remit son
casque, ajoutant au faciès blanc des empreintes de sang. La voix de
Corten se fit encore plus grave. Il évoquait à Halek un seigneur de
la mort entouré de ses démons.
-
Nous sommes les Night Lords, et nous sommes venus pour vous.
*
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