Chapitre
XIX
Imago
La
passerelle renvoyait en échos les pas lourds de son armure. Le bleu
nuit de la céramite contrastait avec le bronze de ses bordures. Il
tenait sous le bras un casque sculpté en forme de crâne, encadré
d'ailes pourpres. À ses
épaulières massives étaient soudées des lames irrégulières,
imitant des griffes recourbées autour de son visage. Sur son
plastron imposant se déployaient des ailes squelettiques. Comme un
ossuaire à ciel ouvert, elles se rejoignaient sous un crâne exposé
au centre de son torse.
Un
crâne trop vrai, et trop jeune.
A
chacun de ses pas, l'Astartes passait devant un frère. Ils se
tenaient en rangs serrés, immobiles, leurs casques aux lentilles
grenat se reflétant les uns dans les autres alors qu'ils se
faisaient face en deux colonnes. Devant à lui se tenaient deux
guerriers. Il ressentit une nostalgie singulière alors qu'ils se
tournaient vers lui. L'un possédait une armure ouvragée, finement
entretenue, et portait à sa ceinture un épais grimoire. Ses traits
patriciens étaient surplombés par une excroissance de son armure
qui remontait au-dessus de sa tête. L'autre n'avait pas de visage,
seulement un faciès artificiel dénué de vie et mû dans une armure
noire usée, d'où pendaient des parchemins et quelques ossements.
Alors
qu'il arrivait devant eux, une forme plus sombre encore, aussi haute
que lui, se détacha des ombres. Elle affichait des crocs aussi
malveillants que le casque qu'il portait sous le bras et son
feulement flotta dans l'air comme un orage. Le cougar s'approcha
doucement, la tête basse en signe de soumission.
L'Astartes
posa une main sur son épaule avant de le fixer dans les yeux.
L'animal recula d'un pas et retourna dans l'ombre où il demeura,
patrouillant en silence autour de la passerelle.
-
L'as-tu nommé ? Demanda Lebian.
L'autre
lui rendit un sourire, ses yeux bleus barrés d'une succession de
cicatrices, affichant une certaine malice.
-
Non, frère-Archiviste, mais cela ne saurait tarder.
-
Une machine à tuer n'a pas besoin de nom, répondit Corten.
Aux
portes de la passerelle, quelqu'un éclata de rire.
-
C'est l'hôpital qui se fout de la charité, avec tout mon respect,
Chapelain.
Tous
les regards se tournèrent vers Veryn. Le sergent appuyait son épaule
à l'encadrement du sas, affichant son éternel sourire narquois.
Bien que personne ne dise mot, aucun Astartes n'était dupe quant à
l'effort que fournit Corten pour rester silencieux.
Un
rayon lumineux creva la baie d'observation. La lueur froide fit jouer
les ombres sur le sol d'acier alors que le soleil se levait derrière
Nostramo.
Le
Chapelain dégaina un poignard ouvragé et le tendit à l'Astartes
devant lui. Ce dernier prit la lame dans ses mains et l'examina.
L'acier reflétait en un croissant aiguisé les rayons de l'étoile
mourante. Il savait ce qu'il avait à faire. Dans un geste calme, il
déverrouilla un gantelet et le retira. Lentement, il fit glisser la
lame en travers de sa main. Un filet écarlate macula le pont alors
que quelque part, le flair bruyant du cougar se fit entendre.
-
Par les prérogatives liées à mon rang, par le sang que tu as versé
et par ton serment envers notre Père et la légion, sous les yeux de
tes frères, Cineris Vytraan, en cette nuit je te nomme Capitaine de
la 2ème compagnie.
L'escouade
complète frappa son plastron du poing en un coup de tonnerre
parfaitement synchronisé. Le Chapelain fit s'approcher deux membres
d'équipage, qui portaient quelque chose de lourd dissimulé sous une
bannière.
Corten
tira sur l'étendard et deux servo-crânes pincèrent le tissu par
les extrémités pour le dresser vers le plafond. Les motifs brodés
représentaient l'orbe noir de Nostramo surmonté d'un crâne de
cougar derrière lequel se déployaient des ailes rapaces.
La
beauté de l'ouvrage laissa Vytraan sans voix. Quand il baissa les
yeux, il constata que la bannière ainsi déployée avait révélé
l'objet encombrant porté par les serfs. C'était une
épée-tronçonneuse. Pas un modèle réglementaire à en juger par
sa taille. Elle ne possédait pas une, mais deux rangées de dents en
adamantium.
Corten
hocha la tête, de son visage sans expression.
-
Manie-la bien, fils de Nostramo. Tous, soyez aussi meurtriers que
cette arme, au nom de l'Empereur et de notre Père ! Plantez sa
bannière dans le cœur de vos ennemis pour que jamais plus personne
n'ose la regarder !
-
Notre Père a placé en vous des espoirs singuliers, reprit Lebian,
et il a choisi de faire de vous ses bourreaux les plus terribles.
Vous êtes les premiers d'un nouveau genre, un genre qui purgera la
légion de ses points faibles.
-
L'Abhorrent rejoindra bientôt la 205ème flotte
expéditionnaire. Notre Père nous rappelle à lui, mais seuls Lebian
et moi demeurerons à bord pour accueillir et encadrer ceux qui nous
remplaceront pour recruter les futurs initiés. Nous allons gonfler
les effectifs de la 2ème Compagnie avec la même rigueur que celle
dont nous avons fait preuve avec vous.
Une
alarme de proximité retentit. Par la baie d'observation, une nef
sombre apparut, baignée dans les rayons malades de l'étoile. Sa
forme était celle d'une dague, surplombée de superstructures
évoquant une cathédrale sinistre.
-
Voici, déclara Corten, le présent de notre Père à la 2ème
Compagnie.
Vytraan
avança de quelques pas, la mine concentrée, pas tout à fait
habitué au poids de l'épée verrouillée à son ceinturon. En lui
s'éveilla une ambition des plus agréables.
-
Il est unique, reprit le Chapelain, désignant de vaisseau d'un geste
de la main. Taillé pour les projections en territoire ennemi. Très
faible signature énergétique, vitesse, puissance de feu. Sa taille
en fait un vaisseau polyvalent et largement dissuasif.
Il
n'avait pas eu besoin de le souligner. Vytraan admirait l'agressivité
du croiseur, la pureté de ses lignes, la violence contenue qu'il
représentait. C'était un chasseur, comme lui. Un tueur silencieux,
capable du simple meurtre comme du génocide.
Veryn
traversa la passerelle en silence, pour se tenir près du nouveau
Capitaine. Il croisa les bras, désignant le vaisseau au-dehors d'un
coup de menton.
-
À celui-là aussi, tu vas
devoir trouver un nom.
Vytraan
nota intérieurement le ton qu'employait le sergent à son encontre,
mais se rappela que personne ne pourrait jamais faire respecter la
discipline à Veryn, pas même leur Père. Il maintint ses yeux rivés
sur le croiseur qui flottait dans la couronne bleutée de l'étoile.
Cela le ramena à cette légende dépeignant la bête impitoyable qui
châtiait les imprudents perdus dans ses eaux froides.
Un
nom approprié. Les mots du
Premier Capitaine, prononcés en un autre temps, refirent surface
dans son esprit. Vytraan ne put réprimer un sourire.
-
Leviathan.
*
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