vendredi 31 juillet 2020

Chapitre XVII - Instinct




Chapitre XVII

Instinct









Le dédale manquait de lui faire perdre la tête. Halek progressait le plus furtivement possible, aux abois pour déceler le moindre piège, le moindre danger. Il se sentait à nouveau vulnérable, à la merci des yeux qui scrutaient ses moindres faits et gestes. Comme à son habitude, il détestait cela.
Les parois du labyrinthe était trop hautes pour s'y agripper et il devait se contenter d'avancer en mémorisant tant bien que mal le tracé de son parcours. Il laissait pourrir derrière lui un groupe de serviteurs. Ils ne représentaient plus une menace sérieuse depuis longtemps. La supériorité physique et mentale de l'initié les avait réduit au silence en un temps record, mais Halek ne se reposait pas sur ses lauriers. Une embuscade bien tendue pouvait renverser le cours des choses.

La lame aiguisée n'est rien face à l'éboulement, disait Veryn. Si le sergent avait su se rendre détestable, Halek et les autres s'étaient parfois retrouvés ébahis par le bon sens de ses paroles. Mais ce n'était pas le moment de verser dans la poésie. Halek devait trouver la sortie menant à son objectif.

Il prit un instant pour reprendre son souffle avant de glisser la tête au coin du mur. Rien à signaler, mais une appréhension lui collait à la peau depuis le début de l'épreuve. Comme si son parcours n'était qu'une traque. Si l'idée de chasser lui avait secrètement plu, la longueur et la configuration du lieu lui donnaient de plus en plus la désagréable impression que son rôle n'était pas celui qu'il pensait être.
Une impression qui lui collait à la peau comme son ombre.
Il reprit sa progression, marchant à pas de loup le long des parois froides et décapées. Une de ses mains caressait le métal des murs du bout des doigts pour y détecter la moindre aspérité qui pourrait dissimuler un piège.
Au toucher, il devinait des surfaces croûtées et irrégulières. Du sang séché et des fragments de peau momifiée tapissaient certaines portions du corridor.
Il était tombé par deux fois sur des corps décharnés et tellement secs qu'un simple souffle aurait pu les effriter. Rien d'utile cependant dans leurs uniformes. Halek se contenta de les dépasser en prenant garde à ne briser aucun os sous ses pieds.

Son autre main était cramponnée au pistolet rudimentaire ramassé sur le cadavre d'un serviteur. L'arme lui semblait tout sauf opérationnelle et l'aspect de ses munitions laissait présager un emploi risqué. Son couteau était rangé dans son fourreau, mais l'étroitesse du lieu favorisait l'emploi d'une arme de poing. Il savait que ses maîtres l'observaient et qu'il n'avait pas le droit à l'erreur. Pour recevoir le patrimoine génétique de la légion, aucune faiblesse ne serait tolérée. Halek n'aurait su en tolérer chez ses hommes pas plus qu'en lui-même. Il ne pouvait qu'espérer que les autres s'en sortent aussi bien que lui, moins pour leur sort que pour ses propres échecs en tant que chef de section.

Il arrivait au bout du couloir quand ses sens captèrent un son inhabituel.
Halek se maudit presque d'avoir laissé son esprit divaguer l'espace d'une seconde et assura une prise à deux mains sur la poignée de son pistolet, reculant à petits pas tout en gardant la mire de son arme pointée vers le virage d'où approchait un bruit cliquetant. Une forme animale émergea lentement au détour du couloir. Halek reconnut la bête et jura intérieurement. Ses doutes étaient fondés, mais il ne s'attendait pas à se retrouver face à face avec un cougar.
Le jeune félin lui arrivait à hauteur de coude et possédait déjà les canines distinctives de son espèce. Son feulement roula dans le couloir tel un orage lointain, en une menace beaucoup trop réelle. Il déploya ses plaques dorsales en signe d'intimidation et avança lentement au ras du sol, ses oreilles rabattues en arrière. Ses babines retroussées découvraient une rangée de crocs, comme un sourire, alors qu'elle savourait à l'avance le carnage à venir.

Halek sentit l'ivresse du combat le gagner et campa ses yeux dans les puits sans fond qu'étaient ceux de la bête. Malgré le danger de la situation, il ne put empêcher le flot d'adrénaline d'envahir son corps et d'irradier en lui comme un stimulant galvanisant. Il se prépara à recevoir la charge en fléchissant les jambes, prêt à bondir de côté à l'instant où l'animal viserait sa gorge.

Le cougar prit soudain sa foulée et couvrit en un éclair la distance qui le séparait de sa proie. Halek prit sa visée et appuya sur la détente. Le tir fut à l'image de l'arme, laborieux. La détonation fit éclater le canon, projetant un nuage d'éclats métalliques dans toutes les directions. Halek n'avait pas attendu de jurer intérieurement pour se jeter sur le côté, esquivant la masse de griffes qui rugit en manquant sa cible. L'initié se ramassa en une roulade et se retrouva à moitié affalé contre le mur.
Il tira son couteau alors que le fauve avait déjà refait mouvement, sautant contre la paroi du couloir pour se catapulter avec une force encore plus grande vers sa proie. Le choc les fit partir à la renverse tous les deux et ils s'écroulèrent contre un corps desséché dans le bruit creux de ses os brisés.

Halek parvint à attraper une patte du prédateur maintenant au-dessus de lui, mais ce dernier possédait une telle force qu'il n'y prêta aucune attention et se dégagea avant de trancher l'air de ses griffes acérées. L'initié eut à peine le temps de tourner la tête par réflexe avant de sentir la douleur infernale faucher son visage et la chaleur du sang, son sang, ruisseler dans ses yeux et son cou. Sa main serrait toujours son couteau mais la patte puissante de la bête tenait son épaule plaquée au sol. Le grognement caverneux du jeune cougar sonna comme un glas dans les oreilles de l'initié alors que le fauve reniflait sa prise, comme pour se délecter du parfum de son sang avant la mise à mort.

Le souvenir de Dorkh surgit dans l'esprit d'Halek. Il se revit sous la pluie, agrippé aux arrêtes coupantes, les jambes dans le vide. Il était alors dans la même situation, en sang et impuissant, à la merci de son adversaire.
Quelque chose naquit en lui. Un noyau rageur, volcanique, qui inonda son corps d'une agressivité qu'il n'avait jamais connue.
Jamais plus. Jamais plus ne se retrouverait-il en telle position de faiblesse, à la merci de qui que ce soit. Il maudit Dorkh, il maudit sa planète et ce qu'elle l'avait forcé à faire, il maudit Veryn et son arrogance, et par dessus tout, il se maudit lui-même.

Sa main libre attrapa un éclat d'os et le planta dans le flanc du cougar.
Ce dernier gémit bruyamment et relâcha toute prise sous la douleur. Regagnant sa mobilité, Halek poussa l'animal de côté et il hurla d'une voix inhumaine alors qu'il jetait de désespoir ses propres dents sur la jugulaire de l'animal. Le cougar se débattit comme un diable, lacérant les épaules et le dos d'Halek, mais l'initié ne sentait plus rien.
Ni le rugissement assourdissant du cougar qui lui vrillait les tympans, ni les ergots acérés qui tailladaient ses chairs.

Son sang pouvait bien couler.

Il reprit de la hauteur en appuyant son avant-bras sur la gorge du cougar, l'étranglant alors qu'il remuait dans son fourreau de chair l'os coupant qui lui servait de poignard. Une fois de plus, leurs yeux se croisèrent. La rage qu'ils éprouvaient, l'instinct primal qui les animait, leur volonté de survivre, Halek les vit dans le regard ténébreux de l'animal.

Petit à petit, la bête ne lutta plus. Son souffle était toujours aussi rapide, mais elle n'esquissait plus aucun mouvement. Halek mit du temps avant de se rendre compte qu'une voix l'appelait, loin hors du brouillard de violence qui occupait son esprit.

- Tu perds du temps, Numéro Neuf.

Impossible pour lui de dire si la voix dans le haut-parleur était celle du Chapelain, de Lebian ou de Veryn. Il se releva péniblement, dominant le cougar qui gisait maintenant dans une mare de sang. Halek sentait que ses propres vêtements lui collaient à la peau tant ses blessures étaient nombreuses.
Les coupures qu'il avait reçu à la tête se firent douloureusement sentir alors que son visage se tordait de douleur, tirant sur les plaies profondes.
Les cellules de Larraman avaient beau être efficaces, elles semblaient toujours être trop longues à agir.

Claudiquant, l'initié se remit à avancer le long du couloir. Il devait progresser. Un râle dans son dos le fit se retourner pour voir le cougar se relever avec difficulté. Il était faible sur ses appuis et grondait sourdement sous la douleur.
Ses griffes raclaient le sol alors qu'il essayait de lécher la plaie dans son flanc, sans grand succès. Tournant la tête vers Halek, le cougar feula de nouveau, découvrant ses dents pointues avant de s'en aller en boitant dans la direction opposée, pour disparaître dans le noir.

Halek prit une seconde pour reposer sa tête contre le mur et reprendre son souffle. Il avait failli mourir, mais avait trouvé en lui une fureur nouvelle.
Il revint sur ses pas pour ramasser son couteau, laissant choir par la même occasion l'éclat osseux sur le cadavre à qui il l'avait emprunté. Il cracha à travers ses dents serrées une insulte au pistolet défaillant avant de se remettre en route sans s'attarder de plus belle.

Si ses hommes avaient eu à affronter un cougar eux aussi, il estimait que peu d'entre eux auraient pu survivre. Alors qu'il avançait vers ce qui semblait être la sortie, il pensa que si c'était le cas, il était normal que seuls ceux qui triomphaient voient leur épreuve considérée comme réussie.

À bien y repenser, il n'aurait pas toléré le contraire.





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