Chapitre
XVII
Instinct
Le
dédale manquait de lui faire perdre la tête. Halek progressait le
plus furtivement possible, aux abois pour déceler le moindre piège,
le moindre danger. Il se sentait à nouveau vulnérable, à la merci
des yeux qui scrutaient ses moindres faits et gestes. Comme à son
habitude, il détestait cela.
Les
parois du labyrinthe était trop hautes pour s'y agripper et il
devait se contenter d'avancer en mémorisant tant bien que mal le
tracé de son parcours. Il laissait pourrir derrière lui un groupe
de serviteurs. Ils ne représentaient plus une menace sérieuse
depuis longtemps. La supériorité physique et mentale de l'initié
les avait réduit au silence en un temps record, mais Halek ne se
reposait pas sur ses lauriers. Une embuscade bien tendue pouvait
renverser le cours des choses.
La
lame aiguisée n'est rien face à l'éboulement, disait Veryn. Si
le sergent avait su se rendre détestable, Halek et les autres
s'étaient parfois retrouvés ébahis par le bon sens de ses paroles.
Mais ce n'était pas le moment de verser dans la poésie. Halek
devait trouver la sortie menant à son objectif.
Il
prit un instant pour reprendre son souffle avant de glisser la tête
au coin du mur. Rien à signaler, mais une appréhension lui collait
à la peau depuis le début de l'épreuve. Comme si son parcours
n'était qu'une traque. Si l'idée de chasser lui avait secrètement
plu, la longueur et la configuration du lieu lui donnaient de plus en
plus la désagréable impression que son rôle n'était pas celui
qu'il pensait être.
Une
impression qui lui collait à la peau comme son ombre.
Il
reprit sa progression, marchant à pas de loup le long des parois
froides et décapées. Une de ses mains caressait le métal des murs
du bout des doigts pour y détecter la moindre aspérité qui
pourrait dissimuler un piège.
Au
toucher, il devinait des surfaces croûtées et irrégulières. Du
sang séché et des fragments de peau momifiée tapissaient certaines
portions du corridor.
Il
était tombé par deux fois sur des corps décharnés et tellement
secs qu'un simple souffle aurait pu les effriter. Rien d'utile
cependant dans leurs uniformes. Halek se contenta de les dépasser en
prenant garde à ne briser aucun os sous ses pieds.
Son
autre main était cramponnée au pistolet rudimentaire ramassé sur
le cadavre d'un serviteur. L'arme lui semblait tout sauf
opérationnelle et l'aspect de ses munitions laissait présager un
emploi risqué. Son couteau était rangé dans son fourreau, mais
l'étroitesse du lieu favorisait l'emploi d'une arme de poing. Il
savait que ses maîtres l'observaient et qu'il n'avait pas le droit à
l'erreur. Pour recevoir le patrimoine génétique de la légion,
aucune faiblesse ne serait tolérée. Halek n'aurait su en tolérer
chez ses hommes pas plus qu'en lui-même. Il ne pouvait qu'espérer
que les autres s'en sortent aussi bien que lui, moins pour leur sort
que pour ses propres échecs en tant que chef de section.
Il
arrivait au bout du couloir quand ses sens captèrent un son
inhabituel.
Halek
se maudit presque d'avoir laissé son esprit divaguer l'espace d'une
seconde et assura une prise à deux mains sur la poignée de son
pistolet, reculant à petits pas tout en gardant la mire de son arme
pointée vers le virage d'où approchait un bruit cliquetant. Une
forme animale émergea lentement au détour du couloir. Halek
reconnut la bête et jura intérieurement. Ses doutes étaient
fondés, mais il ne s'attendait pas à se retrouver face à face avec
un cougar.
Le
jeune félin lui arrivait à hauteur de coude et possédait déjà
les canines distinctives de son espèce. Son feulement roula dans le
couloir tel un orage lointain, en une menace beaucoup trop réelle.
Il déploya ses plaques dorsales en signe d'intimidation et avança
lentement au ras du sol, ses oreilles rabattues en arrière. Ses
babines retroussées découvraient une rangée de crocs, comme un
sourire, alors qu'elle savourait à l'avance le carnage à venir.
Halek
sentit l'ivresse du combat le gagner et campa ses yeux dans les puits
sans fond qu'étaient ceux de la bête. Malgré le danger de la
situation, il ne put empêcher le flot d'adrénaline d'envahir son
corps et d'irradier en lui comme un stimulant galvanisant. Il se
prépara à recevoir la charge en fléchissant les jambes, prêt à
bondir de côté à l'instant où l'animal viserait sa gorge.
Le
cougar prit soudain sa foulée et couvrit en un éclair la distance
qui le séparait de sa proie. Halek prit sa visée et appuya sur la
détente. Le tir fut à l'image de l'arme, laborieux. La détonation
fit éclater le canon, projetant un nuage d'éclats métalliques dans
toutes les directions. Halek n'avait pas attendu de jurer
intérieurement pour se jeter sur le côté, esquivant la masse de
griffes qui rugit en manquant sa cible. L'initié se ramassa en une
roulade et se retrouva à moitié affalé contre le mur.
Il
tira son couteau alors que le fauve avait déjà refait mouvement,
sautant contre la paroi du couloir pour se catapulter avec une force
encore plus grande vers sa proie. Le choc les fit partir à la
renverse tous les deux et ils s'écroulèrent contre un corps
desséché dans le bruit creux de ses os brisés.
Halek
parvint à attraper une patte du prédateur maintenant au-dessus de
lui, mais ce dernier possédait une telle force qu'il n'y prêta
aucune attention et se dégagea avant de trancher l'air de ses
griffes acérées. L'initié eut à peine le temps de tourner la tête
par réflexe avant de sentir la douleur infernale faucher son visage
et la chaleur du sang, son sang, ruisseler dans ses yeux et
son cou. Sa main serrait toujours son couteau mais la patte puissante
de la bête tenait son épaule plaquée au sol. Le grognement
caverneux du jeune cougar sonna comme un glas dans les oreilles de
l'initié alors que le fauve reniflait sa prise, comme pour se
délecter du parfum de son sang avant la mise à mort.
Le
souvenir de Dorkh surgit dans l'esprit d'Halek. Il se revit sous la
pluie, agrippé aux arrêtes coupantes, les jambes dans le vide. Il
était alors dans la même situation, en sang et impuissant, à la
merci de son adversaire.
Quelque
chose naquit en lui. Un noyau rageur, volcanique, qui inonda son
corps d'une agressivité qu'il n'avait jamais connue.
Jamais
plus. Jamais plus ne se retrouverait-il en telle position de
faiblesse, à la merci de qui que ce soit. Il maudit Dorkh, il maudit
sa planète et ce qu'elle l'avait forcé à faire, il maudit Veryn et
son arrogance, et par dessus tout, il se maudit lui-même.
Sa
main libre attrapa un éclat d'os et le planta dans le flanc du
cougar.
Ce
dernier gémit bruyamment et relâcha toute prise sous la douleur.
Regagnant sa mobilité, Halek poussa l'animal de côté et il hurla
d'une voix inhumaine alors qu'il jetait de désespoir ses propres
dents sur la jugulaire de l'animal. Le cougar se débattit comme un
diable, lacérant les épaules et le dos d'Halek, mais l'initié ne
sentait plus rien.
Ni
le rugissement assourdissant du cougar qui lui vrillait les tympans,
ni les ergots acérés qui tailladaient ses chairs.
Son
sang pouvait bien couler.
Il
reprit de la hauteur en appuyant son avant-bras sur la gorge du
cougar, l'étranglant alors qu'il remuait dans son fourreau de chair
l'os coupant qui lui servait de poignard. Une fois de plus, leurs
yeux se croisèrent. La rage qu'ils éprouvaient, l'instinct primal
qui les animait, leur volonté de survivre, Halek les vit dans le
regard ténébreux de l'animal.
Petit
à petit, la bête ne lutta plus. Son souffle était toujours aussi
rapide, mais elle n'esquissait plus aucun mouvement. Halek mit du
temps avant de se rendre compte qu'une voix l'appelait, loin hors du
brouillard de violence qui occupait son esprit.
-
Tu perds du temps, Numéro Neuf.
Impossible
pour lui de dire si la voix dans le haut-parleur était celle du
Chapelain, de Lebian ou de Veryn. Il se releva péniblement, dominant
le cougar qui gisait maintenant dans une mare de sang. Halek sentait
que ses propres vêtements lui collaient à la peau tant ses
blessures étaient nombreuses.
Les
coupures qu'il avait reçu à la tête se firent douloureusement
sentir alors que son visage se tordait de douleur, tirant sur les
plaies profondes.
Les
cellules de Larraman avaient beau être efficaces, elles semblaient
toujours être trop longues à agir.
Claudiquant,
l'initié se remit à avancer le long du couloir. Il devait
progresser. Un râle dans son dos le fit se retourner pour voir le
cougar se relever avec difficulté. Il était faible sur ses appuis
et grondait sourdement sous la douleur.
Ses
griffes raclaient le sol alors qu'il essayait de lécher la plaie
dans son flanc, sans grand succès. Tournant la tête vers Halek, le
cougar feula de nouveau, découvrant ses dents pointues avant de s'en
aller en boitant dans la direction opposée, pour disparaître dans
le noir.
Halek
prit une seconde pour reposer sa tête contre le mur et reprendre son
souffle. Il avait failli mourir, mais avait trouvé en lui une fureur
nouvelle.
Il
revint sur ses pas pour ramasser son couteau, laissant choir par la
même occasion l'éclat osseux sur le cadavre à qui il l'avait
emprunté. Il cracha à travers ses dents serrées une insulte au
pistolet défaillant avant de se remettre en route sans s'attarder de
plus belle.
Si
ses hommes avaient eu à affronter un cougar eux aussi, il estimait
que peu d'entre eux auraient pu survivre. Alors qu'il avançait vers
ce qui semblait être la sortie, il pensa que si c'était le cas, il
était normal que seuls ceux qui triomphaient voient leur épreuve
considérée comme réussie.
À
bien y repenser, il n'aurait pas toléré le contraire.
*
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