mercredi 15 juillet 2020

Chapitre III - Instructions





Chapitre III


Instructions






La leçon terminée, Hadès retourna vers son trône. Il attendit que la carcasse sans vie soit évacuée par la porte arrière et que les ampoules assassines furent ramenées au silence. Il leva sa main encore humide de sang vers Halek, lui faisant signe d'approcher dans un geste éprouvé par les monarques, de tous bords et de tous temps. La révérence n'était pas de mise pour les natifs de Nostramo qui peuplaient les cités dans une vie charognarde brève mais violente. Seule la présence du Night Haunter et de ses fils imposait que l'on ploya le genou. Par magnificence ténébreuse pour l'un, par crainte et déférence pour les autres. Aucun d'entre eux n'était là cette nuit, mais Halek plia néanmoins une jambe pour se prosterner devant son maître. Quelques ricanements s'échappèrent de la meute derrière lui, mais il n'y prêtait plus attention depuis longtemps.


- Où est ta protégée ? Demanda Hadès. Il me semble juste que des louanges méritées par un duo si jeune soient prononcés en bonne et due forme.


Fébrilement, la jeune fille dont Hadès avait reniflé l'anxiété dès son arrivée, vint se ranger au côté de son mentor. Elle tentait de faire bonne figure, et s'en sortait avec un amusant succès alors que ses pupilles noires restaient rivées sur ses pieds. Hadès reprit:


- Il te fut plaisant de voir ton ancien contact finir étripé. Ai-je tort, bâtard ?


Halek inspira tout en triant rapidement dans sa tête les mots à dire ou ne pas dire.


- Il n'était qu'un lâche fils des Spectres, monseigneur. Ses cris ont contribué à ma résolution.


- Tu n'as guère répondu à ma question, rétorqua Hadès d'un ton menaçant.


Halek nota cette sale habitude qu'il allait devoir perdre très vite. Il sentait l'haleine chargée de viande du Dimetræ émaner de sa gueule par relents fétides à trois mètres de lui. Sa peau se hérissa malgré lui lorsque le carnivore fit deux pas en avant, ses griffes cliquetant sur les dalles de pierre.


- Oui monseigneur. J'ai savouré chaque seconde de la mise à mort.


Les verres sans teint se tournèrent légèrement vers Celyne.


- Et toi, petite chose ? Qu'as-tu ressenti ?


La jeune fille, bien malgré elle, sentit son cœur battre plus vite. Elle leva imperceptiblement les sourcils alors qu'elle cherchait quoi répondre.


- Je...me réjouis que justice fût rendue selon les préceptes de notre Maître à tous.


Elle ne savait pas si la réponse qu'elle avait délivrée était correcte, et les secondes lui parurent s'étirer dans un moment incroyablement oppressant. En réalité, Hadès se félicitait de son intimidation auprès des récentes recrues du gang. Si sa bouche avait encore siégé à sa place, sans doute aurait-il esquissé un sourire. Cette idée elle-même en aurait d'ailleurs été une raison suffisante.


- Vous avez plus que dépassé mes attentes en détruisant le repaire des Spectres en une seule frappe. Malgré l'empressement de la situation toi, Halek, as su tempérer tes manœuvres pour retarder notre succès. Tu l'as amplifié en prenant le temps, disons, d'emprunter les armes et les technologies de nos ennemis avant de les annihiler. Cette action mérite de servir de leçon à ceux qui se comportent en chiens affamés et écervelés.


Hadès avait hoché la tête en direction de l'assemblée, comme pour souligner sa dernière phrase. Halek sentit presque physiquement la vague de jalousie suscitée par tant d'éloges heurter son dos.


- Trêves de bavardages, lança Hadès en se relevant brusquement avant de faire les cent pas dans le sifflement régulier de sa jambe augmétique. Ne vas pas croire que ton succès te vaille une place plus élevée dans notre hiérarchie. Disons qu'il a retenu certaines attentions. Ta protégée et toi allez dorénavant être placés sous les directives de Dorkh. Après votre petite victoire de cette nuit, j'ai décidé qu'il était judicieux de vous faire bénéficier de son expérience et de sa bonne humeur.


Halek orienta son regard vers la droite. Celyne l'imita après qu'elle se fut rendue compte qu'il ne la regardait pas. Un individu était détaché de la masse, adossé au mur, les bras croisés et le visage fermé. Ses yeux noirs fixaient Halek d'un regard empli de haine. Dorkh n'éprouvait que mépris pour lui, ce n'était un secret pour personne. Les pupilles glacées d' Halek ne purent retenir une nuance d'amusement à l'idée que son nouveau précepteur avait dû provoquer un sacré déplaisir à leur maître pour que celui-ci choisisse une telle punition. Comme pour ramener les regards égarés à leur place, le Dimetræ grogna bruyamment. Immédiatement, les yeux se rivèrent sur le sol alors que la bête se mettait à tourner autour des adolescents.


- Les raisons pour lesquelles j'ai opté pour un tel trio ne regardent que moi, déclara Hadès comme s'il avait lu dans les pensées de tous. Une nouvelle quinte de toux émana de son masque. Je serai néanmoins assez généreux pour vous annoncer que votre récent succès m'a amené à vous envisager comme guetteurs lors de la prochaine Chasse, et que cela constitue un motif suffisant pour vous coller aux guêtres de Dorkh.


Celyne ferma presque les yeux lorsque le pas de la bête cessa devant eux. Son flair ressembla un instant à un juge macabre, estimant la valeur de deux accusés et prêt à libérer ses crocs pour peu que son maître délivre une sentence.

Celui-ci poursuivit, sa voix soudain devenue lourde résonnant contre les parois froides.


- Il va sans dire que cette occasion n'est que très rarement délivrée...et qu'aucun échec ne sera toléré. Je sais que ton sang à moitié Terran est réclamé par bon nombre de personnes ici présentes, bâtard. Aussi les preuves de tes progrès ont-elles intérêt à éclore très prochainement...


Le masque fixa Celyne. Ses cheveux étaient de peu plus longs que ceux d' Halek et son corps permettait à peine de faire une distinction de genre.


- ...et la gamine va vite devoir prendre des vies, autrement la sienne paiera ma perte de temps.


Hadès se retourna dans la bourrasque de sa cape déchirée, suivi de son Dimetræ. Halek les regarda s'éloigner vers la porte menant aux générateurs et plissa les yeux. Les deux voyants rouges luisant dans la pénombre semblaient avoir bougé. La fatigue, sûrement. Il se releva, sachant l'audience terminée, et Celyne l'imita après une seconde d'hésitation. Halek affronta l'espace d'un instant les regards de ses alliés, puis les discussions reprirent et le niveau sonore redevint assourdissant. Il fit un signe de tête à Celyne, lui indiquant la sortie afin qu'elle le suive. Après une traversée mouvementée de la horde bruyante, ils sentirent enfin l'air pollué de la cité emplir leurs narines alors que la porte se découpait devant eux.


Dans les quartiers jouxtant la salle bondée, Hadès faisait face au miroir brisé qui reflétait son masque. La surface morcelée donnait à son image une allure tout aussi saccagée que l'était son visage. Une toux amère le prit, encombrant sa gorge de caillots de sang qu'il cracha dans son casque. Il aurait tout le loisir de nettoyer son expirateur plus tard, mais l'heure n'était pas au confort. Il tendit la main vers un injecteur rouillé dans lequel était insérée une cartouche médicale. Remontant une manche raidie par l'âge du cuir, il inséra sans ménagement l'aiguille dans son bras. Il appuya sur la gâchette qui grinça en libérant le contenu de la cartouche dans son sang. Le maigre soulagement qu'il ressentit ne fut pas suffisant pour apaiser la douleur dans ses gencives. Cette dernière n'était la conséquence d'aucune des nombreuses maladies qui ravageaient ses chairs. L'air vibrait imperceptiblement de la présence imposante derrière lui, exsudant une odeur magnétique et une aura infiniment menaçante.


- La mort a l'air de s'intéresser à toi, dit le géant.


Sa voix était grave, artificielle et prédatrice. Incrustées au milieu de son casque, perchées au sommet d'épaules immenses, les lentilles rougeoyantes encadrée d'un faciès morbide écrasaient Hadès par leur regard absent. Le souffle lourd et les sculptures macabres de son armure complétaient la sinistre fresque qu'incarnait le titan. Levant les yeux vers lui, soutenant son regard avec toute l'assurance dont il était capable, Hadès se dit que jamais il n'aurait opté pour un nom si évocateur s'il avait su qu'un jour, la Légion viendrait le mettre au pas. Pour la énième fois aujourd'hui, la situation le fit jurer intérieurement. Il ravala sa fierté, bien conscient du danger que représentait une quelconque forme d'insolence.


- Pas même la mort ne saurait m'empêcher de remplir mes obligations envers la Légion, monseigneur, dit-il en rabaissant sa manche. Je commanderai mes hommes selon vos ordres, vous n'aurez qu'à choisir ceux que vous emporterez.


- Modère le ton de tes propos, petit seigneur, répondit le géant d'un ton amusé qui trahissait une impatience frôlée. Tu pourrais bien découvrir que la soumission n'est pas le dernier rempart contre la destruction. Et ce n'est pas ton cabot décharné qui serait en mesure de faire quoi que ce soit.


Hadès encaissa la réprimande en se demandant si l'effet désagréable qu'elle provoquait était partagé par ses hommes lorsqu'il les sermonnait.


De l’autre côté des murs décrépits, la foule vaquait à ses chamailleries et ses consommations en tous genres. Alors que Celyne et lui approchaient enfin de la sortie, Halek distingua du coin de l'œil Dorkh, en pleine conversation avec deux gangsters dont un avait une main en moins. Il se demanda à quoi pouvait bien lui servir une paire de revolvers... La brute aux yeux noirs le remarqua et cracha vers lui en barrant sa gorge de son pouce. Ses acolytes ricanèrent alors qu'ils savouraient sûrement à l'avance les défis impossibles qu'ils allaient pouvoir lui infliger.


Voilà qui promet d'être intéressant, pensa-t-il lorsqu'il émergea enfin du bâtiment.


Il ne fit pas tout de suite attention à Celyne, désirant avant tout relâcher la tension de son corps. Il leva le visage face au ciel meurtri tout en inspirant à pleins poumons. La fraîcheur de l'air irrita les plaies dans son dos, ce qui les rappela à leur bon souvenir. Il fixa Tenebor un moment, de ses yeux noirs auréolés de bleu. A y repenser, il y avait vraiment une ressemblance, les gens avaient sans doute raison. Il relâcha son souffle avant de tourner la tête vers Celyne.


- Tu disais ?


Elle se tenait les mains et faisait jouer ses doigts dans une danse traduisant son anxiété. En même temps, sa tête ne cessait de se tourner vers le silo d'où ils étaient sortis comme si elle craignait que quelque chose en surgisse.


- Je disais que c'était...pas mal ? Non ? Je veux dire...on s'en est bien sortis !


Sa voix tremblait presque. Halek devina qu'elle sentait encore le souffle du Dimetræ sur ses talons.


- Pas trop mal. Répondit-il. Participer à une Chasse est un privilège dont peu se vantent.


- Eh bien c'est super alors ! S'exclama Celyne dans un faible sourire. Oui, oui c'est très bien...


Il voyait bien qu'elle tentait de se rassurer, mais si elle y était parvenue, il allait réduire à néant son peu de réconfort.


- Peu se vantent car peu en reviennent. La proie n'est pas toujours celle que l'on croit. Mon précepteur est revenu d'une Chasse en boitant, lui et dix-sept autres sont les seuls à avoir survécu sur quatre-vingts traqueurs. Ils ont traîné le cadavre de leur gibier à pieds depuis les falaises où leurs tacots finissaient de se consumer...


Il ne put réprimer un sourire.


- Bel exploit pour quelqu'un qui mourut deux nuits plus tard.


Celyne l'observait d'un œil détaché. Quelque chose entre le désespoir et la curiosité se lisait dans son regard. Elle finit par se retourner et ils partirent tous deux vers les tours d'habitation des quartiers intermédiaires. Après une grosse demi-heure, ils parvinrent à une intersection bourdonnante d'activité. Des transports de minerai et de ravitaillements en tous genres passaient en vomissant des nuages empoisonnés alors que des marchands de tissus laborieux arpentaient les trottoirs. Avant de se séparer, les adolescents cédèrent quelques crédits à un commerçant qui vendait des produits alimentaires à l'abri de la pluie, histoire d'avoir quelque chose de tiède dans l'estomac.


Alors qu'ils finissaient leur maigre collation, Halek hocha la tête en guise d'au revoir.


- Je te verrai sous peu, dès que j'aurai des nouvelles de cette crevure de Dorkh. A plus tard...


Alors qu'il s'éloignait déjà sans plus de cérémonie, Celyne l'interpella.


- Hal', attends ! Comment est mort ton précepteur ?


Le garçon se retourna, la mine fatiguée malgré son jeune âge. Nostramo n'élevait pas d'enfants pétillants.


- Je lui ai planté un poignard entre les côtes, répondit-il en jetant nonchalamment au sol l'emballage de son maigre repas, avant de se retourner pour marcher de nouveau. Quelques mètres plus loin, il tourna vaguement la tête.


- Et je lui ai aussi tranché la gorge, lança-t-il sans se demander si elle l'entendrait.







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