mercredi 15 juillet 2020

Chapitre XI - L’œil du cyclone




Chapitre XI

L’œil du cyclone









Il retenait son souffle depuis près de deux minutes. Immobile comme une statue le long de la paroi d'acier, il scrutait l'obscurité sans difficulté. Ses frères étaient là, tapis dans l'ombre. Tous connaissaient l'ampleur de la tâche à accomplir et leur devoir sacré qui était de remplir leur objectif. Ils avaient été formés en ce sens. Par leur initiation, ils s'étaient abreuvés des lois et des valeurs qui constituaient la piété des légions Astartes. Leur cible se tenait au centre d'un complexe urbanisé, debout au milieu d'une place circulaire. Tout autour d'elle s'approchaient, cachés, des tueurs sans pitié. Chacun d'entre eux était mu par un empressement de parvenir au meurtre, hâte néanmoins bridée par l'appréciation tactique de l'opération.

Le tueur immobile relâcha imperceptiblement l'air retenu dans son 3ème poumon avant de l'emplir de nouveau, non sans ressentir une certaine douleur due à sa récente opération. Gardant les yeux rivés sur la cible, celui qui était appelé « Numéro Neuf » par ses pairs leva une main à son communicateur, appuyant plusieurs fois en une série de messages en morse destinés à son escouade. La réponse lui parvint de la même manière, se traduisant par des messages approbateurs. L'un des messages se terminait par une raillerie codée évoquant sa naissance, mais cela ne l'atteignait plus depuis longtemps.
Si l'insolence allait de pair avec le tempérament des nostramiens, il avait veillé à ce que ceux qui se prétendaient supérieurs à lui paient le prix du sang pour avoir sous-estimé un fils de Nostramo qui ne craignait pas la lumière. Le frère-chapelain Corten avait apprécié ces luttes de pouvoir et les avait citées en exemple, confiant au « bâtard de Nostramo » la responsabilité d'une section complète.
Aujourd'hui, les insultes en morse n'étaient que vagues de jalousie et de soumission. Numéro Neuf n'en avait cure.

Il tira lentement son poignard, gardant une prise inversée et préparant son corps à charger sa cible. Celle-ci ne bougeait guère, comme insensible aux tourments qui rôdaient tout autour d'elle. Un « clic » dans son communicateur lui indiqua que son premier élément d'attaque était prêt à l'action, et il répondit par deux clics successifs.

Dans la seconde qui suivit, le silence fut rompu par le sifflement d'une lame qui trancha l'obscurité à une vitesse fulgurante. La silhouette en armure esquiva le projectile alors qu'une grenade offensive roulait sur le sol depuis la direction opposée. La détonation assourdissante fut reprise en écho par les murs avoisinant, suivie du martèlement d'une foulée rapide. Une forme humanoïde sauta en beuglant à travers la fumée, la lame de son poignard dirigée vers le cou de sa cible. Soudain, le temps sembla s'arrêter. Numéro Trois se retrouva figé en l'air, incapable d'esquisser un mouvement. Il luttait pour frapper, son souffle échappant à sa mâchoire serrée alors que ses efforts immenses ne faisaient que resserrer la prise invisible qui le maintenait suspendu.

Numéro Neuf jura dans sa tête et sortit de son couvert en sprintant, fonçant vers sa cible qui lui tournait le dos. Celle-ci, dans son armure nocturne, avait un bras levé et enserrait dans sa poigne vide l'insolent qui s'était jeté sur elle. A ses pieds s'était formée une couche de givre qui remontait paresseusement ses chevilles en cristaux délicats. Malgré le tonnerre de sa foulée sur le sol métallique, reprise par ses semblables qui convergeaient vers leur objectif, la voix qu'il entendit lui fit ressentir la totalité de leur échec. Elle refléta la fureur d'un maître déçu et courroucé.

- Que vous ai-je enseigné ?? Tonna la voix.

Une lumière aveuglante inonda les lieux, empalant d'éclairs chaque initié et les dardant de chocs électriques. Ils étaient littéralement foudroyés par un orage surgi de nulle part, dont l'épicentre était leur cible. Celle-ci se débarrassa de son agresseur en l'envoyant s'écraser au sol, avant de cesser son attaque psychique. Une faible lumière gagna l'arène alors que résonnait une sirène annonçant la fin de la simulation, couvrant de sa plainte les grognements des initiés encore parcourus de petits éclairs et agités de soubresauts.

Numéro Neuf sentit que quelque chose s'était déchiré dans sa poitrine, et il projeta au sol un crachat sanglant. Il jura entre ses dents avant de se remettre sur pieds en grognant. Un appoint de son poumon avait sans doute été touché par la rafale psychique et les Cellules de Larraman œuvraient déjà pour réparer les jeunes tissus qui avaient été déchirés. Les membres de son escouade se remettaient plus ou moins bien de la contre-attaque de leur maître, et ce dernier se retourna vers Numéro Neuf.

- Chef de section, au rapport. Sa voix sifflait comme le vent sur une pente dangereuse, accentuée par un accent trahissant des origines étrangères à Nostramo.

Les cristaux de glace qui recouvraient ses bottes avaient déjà fondu malgré le froid. Son armure était typique de l'iconographie de la légion, rehaussée de détails trahissant son rang. Une épaulière arborait un symbole antique, représentant une créature serpentine tournant sur elle-même. A sa ceinture pendait un épais grimoire aux bords métalliques, fermé par une épaisse serrure, et à l'aspect usé.
A la différence des autres Astartes, il ne portait pas de casque au combat mais son armure s'élevait en une coiffe au-dessus de sa tête, jouant un rôle bien précis pour protéger son porteur des dangers liés à sa fonction.

Les traits de l'Archiviste Lebian avaient toujours évoqué la bienveillance, notion ô combien difficile à concevoir à bord de l'Aborrhent. Ses yeux noirs et son teint pâle n'étaient guère des attributs de naissance cependant. Lebian comptait parmi les membres les plus érudits et respectés de la légion, car il fut des rares à vivre le lancement de la Grande Croisade et pour cause, il était né sur Terra. Parmi les rumeurs imbéciles qui circulaient entre initiés, celle que Lebian ait vu l'Empereur de ses propres yeux était sans doute la plus exagérée, pourtant personne n'osait prétendre le contraire. Ses connaissances étaient telles et ses interventions si rares que tous - même Veryn – faisaient silence lorsque Lebian prenait la parole.
Et c'était cet Astartes, cette personnalité si versée dans le voyage de l'Humanité, qui s'apprêtait à réprimander des initiés indisciplinés tirés des rues de Nostramo.

Numéro Neuf se campa au garde-à-vous face à son maître. Il se força à ravaler le sang qui remontait de sa gorge. La différence entre leurs armures était à peu près aussi grande que la distance entre leurs mondes de naissance.

- Maître-Archiviste, nous avons opéré une manœuvre d'encerclement en profitant de la topographie du lieu pour contrôler notre environnement sur trois cents soixante degrés. Nous n'avions cependant pas prévu la distance à découvert que nous avions à parcourir.

L'imposant Archiviste renifla d'un air déçu.

- Et pourtant, Numéro Neuf, tu as choisi de lancer tes hommes dans une course folle et irréfléchie. Tu savais ce qui vous attendait, dit-il en levant la main dans un geste exprimant ses pouvoirs. Es-tu mécontent de ton escouade, ou ne blâmes-tu que toi-même pour cet échec ?

Cette question était de celles qui, fut un temps, aurait décidé de la vie ou de la mort d'un initié. Mais Numéro Neuf savait qu'ils étaient bien trop avancés dans leur formation pour subir un nouveau meurtre arbitraire.

- Je ne blâmerai personne, Maître-Archiviste. Nous avons évolué en appliquant une manœuvre réglementaire. Partant du principe que nous n'étions armés que de couteaux et de grenades, j'estime que les conséquences de cet engagement ne reflètent pas les capacités opérationnelles optimales de mon escouade.

La voix de Lebian demeura dangereusement calme.

- Et qu'as-tu appris ? Quel enseignement va inspirer tes hommes et les pousser à optimiser leurs actions ?

Numéro Neuf esquissa un mince sourire, une autre façon dangereuse de subir une mort prématurée.

- L'appréciation des distances et les moyens de réduire l'écart entre une lame et sa cible, Maître-Archiviste.

Lebian sentit plus qu'il ne la vit alors, la présence froide d'un poignard dans son dos. Numéro Trois tenait sa revanche, la pointe de sa lame immobile à deux centimètres de l'oreille de sa cible. Lui aussi souffrait d'une hémorragie interne, et affichait sa satisfaction à travers des dents ensanglantées.

Lebian rendit son sourire à Numéro Neuf, un sourire froid mais sincère. Le courroux du Maître était passé.


- Bien, Numéro Neuf.





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