vendredi 31 juillet 2020

Chapitre XVI - Seuil




Chapitre XVI

Seuil









L'épreuve avait commencé sans cérémonie. Les initiés avaient rejoint une salle loin dans les entrailles du vaisseau où circulaient des conduits de refroidissement, et s'étaient mis en rang sur le sol grillagé. Le fond de la salle comprenait plusieurs portes blindées. L'air était froid et sec. Un esclave en robes grises travaillait à démonter un panneau énergétique sans qu'il ne prête aucune attention au petit groupe.

Veryn les attendait. Il se tenait face à un servo-crâne, murmurant si bas que personne ne pouvait déceler quoique ce soit.
Le sergent ne portait pas de casque. Son visage était une touche blanchâtre sur le bleu nuit de son armure. Comme le dialogue se terminait, le crâne flottant recula de quelque mètres. Veryn se campa face à ses recrues, les jaugeant du regard comme pour percer leur esprit et lire leurs pensées.

Les initiés ignoraient tout du parcours qu'ils devaient effectuer individuellement. Dans leurs ragots et leurs hypothèses, ils imaginaient que leur seul objectif était d'en sortir vivant, mais tous se doutaient que les Maîtres gardaient en réserve de mauvaises surprises. Ils n'avaient pour seul équipement qu'un couteau réglementaire. Ils portaient leur tenue de combat, une cuirasse légère portée sur leurs uniformes de base.
Même si leur sergent n'était pas du genre à s'attarder sur ce genre de détails, Halek avait ordonné que tous aient une présentation irréprochable et ce, malgré les réticences de certains. Contre toute attente, Veryn passa en revue l'escouade devant la rangée de sas qui s'ouvraient sur les différents parcours.
Il ne dit rien, ce que les initiés perçurent comme un bon signe.
- Mes yeux ne sont pas ceux que vous devez éblouir, dit-il. Je connais vos capacités. Vos supérieurs n'attendent pas de vous que vous soyez exemplaires, ils veulent que vous prouviez que vous ne reculerez devant rien.

Il s'était remis à faire les cent pas face au petit groupe tout en les désignant de la main.

- La dernière fois que je vous ai passé en revue, vous étiez de faibles recrues à peine capables de manier une arme. J'ai purgé par le feu et l'acier la faiblesse qui polluait votre esprit de corps en vous débarrassant des éléments médiocres. N'ayez aucune pitié pour eux. D'autres mourront peut-être aujourd'hui. Ne les prenez pas en pitié non plus !

Veryn s'arrêta face à Halek. Ils échangèrent un regard, le jeune nostramien demeurant stoïque face à l'Astartes, qui reprit la parole.

- Vous avez été choisis et vous avez prouvé que vous pouviez recevoir les dons de notre légion, ne décevez pas vos maîtres ! Vous avez acquis les bases les plus solides qui soient, fidèles aux valeurs qui animent notre Père, par les paroles et les enseignements du Chapelain Corten et de l'Archiviste Lebian.

Il marqua une pause, et le silence n'était troublé que par le bruit sourd du vaisseau et le travail du serviteur. Chaque initié avait l'impression que Veryn le regardait directement.

- Vous connaissez ma fureur et ma patience, n'espérez pas découvrir les leur. Chacune de ces portes s'ouvre sur un labyrinthe que vous devez franchir pour atteindre votre objectif. C'est tout ce que vous devez savoir.

Le sergent jeta un coup d’œil au servo-crâne qui flottait au coin de la pièce. Par son œil bionique, les Maîtres observaient et entendaient tout.

- Ne vous attendez pas à ce qu'il ne s'agisse que d'une course d'orientation, ajouta-t-il de son sourire le plus sarcastique. Chef de section, face à ce défi tu es responsable des conséquences de ton commandement. Nous verrons si tes valeurs en tant que meneur ont dépassé le stade de soldat à soldat. J'espère pour toi que chacun de tes hommes est capable d'endurer individuellement ce qui va leur arriver.

Halek ne nourrissait pas de doute à ce propos. Il avait veillé à ce que chaque initié travaille introspectivement à ses émotions et à sa propre cohésion.
Les leçons de Lebian étaient riches de ces notions et il y accordait une attention toute particulière, ce qui n'avait pas été le cas de tous ses hommes.
Il estimait néanmoins que le mal qu'il s'était donné s'avérerait payant.

- Mon sort ne sera pas différent de celui de mes hommes, monseigneur.

Veryn s'esclaffa dans un rire qui mêlait à sa cruauté un semblant de sympathie.

- Non, en effet Numéro Neuf, répondit-il en tapotant de la main son pistolet à plasma. J'espère que tu as fait de ton pire comme je ferai du mien si tu échoues.

Les portes s'ouvrirent simultanément, découvrant une lumière qui inonda la pièce au fur et à mesure qu'elles tournaient sur leurs gonds dans le claquement de leurs engrenages. Halek, malgré ses facilités, en fut gêné tout de même alors que ses subordonnés plissaient les yeux. Pourtant, aucun d'entre eux ne montra de faiblesse.

L'énorme silhouette en armure énergétique se retrouva noyée dans l'éclat aveuglant. Ainsi baigné de lumière, Veryn paraissait plus sombre encore.
Le servo-crâne glissa au-dessus de l'épaule du sergent, fixant les initiés de son œil unique, alors que Veryn écartait les bras.

- Vous entrez en ces lieux, Initiés. Vous les quitterez Astartes... ou ne les quitterez pas.

Halek fut le premier à avancer, suivi de près par ses hommes. Certains portaient déjà la main à leur couteau tandis que d'autres faisaient craquer leurs articulations. Levant la main pour se protéger de la lumière agressive, ils pénétrèrent chacun dans les mondes créées par leurs Maîtres. Les portes se fermèrent derrière eux, rendant sa pénombre à l'air glacial de la pièce.

Veryn ne demanda pas son reste et emprunta le corridor adjacent d'un pas décidé. Sa foulée faisait trembler le pont et dispersait la vermine qui vivait entre les tuyauteries. Il croisa quelques membres d'équipages, des humains affectés à la maintenance auxquels il n'accorda pas même un regard.
Il détestait les humains, au point qu'il se moquait parfois de lui-même pour en avoir été un. Ils étaient faibles, tellement faibles, et voilà qu'il en avait préparé une poignée qui, bientôt, deviendraient ses frères. Il s'autorisa un sourire.

La vie est bien faite, pensa-t-il.

Arrivé à un carrefour, il chercha de droite et de gauche, impassible, ce qu'il était venu chercher. A ce niveau, les serviteurs lobotomisés côtoyaient les techniciens. L'activité soutenue renvoyait en échos les bruits mécaniques, accompagnés de jets de lumière venant d'une soudure ou un voyant d'avertissement. Il ne mit pas longtemps à trouver ce qu'il cherchait. Une forme humaine marchait maladroitement, tenant dans ses mains changées en pinces un module quelconque. Bousculée par des esclaves robotisés qui ne faisaient pas attention à elle, elle perdit l'équilibre et chuta lourdement.
Ce que l'esclave tenait se brisa en tombant, répandant des composants électriques qui roulèrent dans les aspérités du sol. Prenant appui sur ses pinces pour se relever, elle gémit de douleur avant de réaliser que quelque chose se tenait devant elle. Elle leva des yeux pétrifiés vers l'Astartes qui la dominait de toute sa stature. La voix du géant fut la chose la plus terrifiante qu'elle ait jamais entendu.

- Cela avait l'air précieux, dit Veryn.

Il se pencha pour attraper le bras frêle et souleva sans efforts le maigre corps. Des larmes roulèrent sur le visage de l'esclave et ses sanglots ne firent qu'attiser le mépris du sergent.

- Pitié, seigneur ! Je ne l'ai pas fait exprès...

Il soupira. Décidément, il avait du mal à croire qu'il avait été humain.

- Je vais te dire un secret, petite chose, dit-il d'une voix faussement rassurante. Que ce soit précieux ou non, je n'en ai aucune idée.

Elle geignait de douleur, s'agitant faiblement dans un vain espoir d'échapper à la poigne de fer. Elle ne vit pas l'autre main de Veryn pointer le canon du pistolet à plasma sur ses genoux.

- Et franchement, je m'en contrefous.

Plus loin dans le vaisseau, une alerte de type « réparation » se déclencha.
Des conduits venaient d'être détruits par ce que les senseurs qualifièrent de tir d'arme énergétique. L'ordinateur local analysa les données et convertit le signal d'alarme en ordre de travail, qui se retrouva alors jeté dans le flux constant parcourant le réseau commun à tous les serviteurs. L'ordre de réparation fut assigné à l'unité disponible la plus proche.

17-Sigma-4 venait de perdre un membre dans la déflagration, mais il était vrai qu'il ne sentait rien. Il se remit maladroitement sur ses jambes bioniques et scanna de son œil artificiel la surface à réparer. Derrière lui s'éloignait l'Astartes, qui portait sous le bras une esclave dont les pleurs furent étouffés quand 17-Sigma-4 commença à scier le métal dans une pluie d'étincelles.





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