Chapitre
XVI
Seuil
L'épreuve
avait commencé sans cérémonie. Les initiés avaient rejoint une
salle loin dans les entrailles du vaisseau où circulaient des
conduits de refroidissement, et s'étaient mis en rang sur le sol
grillagé. Le fond de la salle comprenait plusieurs portes blindées.
L'air était froid et sec. Un esclave en robes grises travaillait à
démonter un panneau énergétique sans qu'il ne prête aucune
attention au petit groupe.
Veryn
les attendait. Il se tenait face à un servo-crâne, murmurant si bas
que personne ne pouvait déceler quoique ce soit.
Le
sergent ne portait pas de casque. Son visage était une touche
blanchâtre sur le bleu nuit de son armure. Comme le dialogue se
terminait, le crâne flottant recula de quelque mètres. Veryn se
campa face à ses recrues, les jaugeant du regard comme pour percer
leur esprit et lire leurs pensées.
Les
initiés ignoraient tout du parcours qu'ils devaient effectuer
individuellement. Dans leurs ragots et leurs hypothèses, ils
imaginaient que leur seul objectif était d'en sortir vivant, mais
tous se doutaient que les Maîtres gardaient en réserve de mauvaises
surprises. Ils n'avaient pour seul équipement qu'un couteau
réglementaire. Ils portaient leur tenue de combat, une cuirasse
légère portée sur leurs uniformes de base.
Même
si leur sergent n'était pas du genre à s'attarder sur ce genre de
détails, Halek avait ordonné que tous aient une présentation
irréprochable et ce, malgré les réticences de certains. Contre
toute attente, Veryn passa en revue l'escouade devant la rangée de
sas qui s'ouvraient sur les différents parcours.
Il
ne dit rien, ce que les initiés perçurent comme un bon signe.
-
Mes yeux ne sont pas ceux que vous devez éblouir, dit-il. Je connais
vos capacités. Vos supérieurs n'attendent pas de vous que vous
soyez exemplaires, ils veulent que vous prouviez que vous ne
reculerez devant rien.
Il
s'était remis à faire les cent pas face au petit groupe tout en les
désignant de la main.
-
La dernière fois que je vous ai passé en revue, vous étiez de
faibles recrues à peine capables de manier une arme. J'ai purgé par
le feu et l'acier la faiblesse qui polluait votre esprit de corps en
vous débarrassant des éléments médiocres. N'ayez aucune pitié
pour eux. D'autres mourront peut-être aujourd'hui. Ne les prenez pas
en pitié non plus !
Veryn
s'arrêta face à Halek. Ils échangèrent un regard, le jeune
nostramien demeurant stoïque face à l'Astartes, qui reprit la
parole.
-
Vous avez été choisis et vous avez prouvé que vous pouviez
recevoir les dons de notre légion, ne décevez pas vos maîtres !
Vous avez acquis les bases les plus solides qui soient, fidèles aux
valeurs qui animent notre Père, par les paroles et les enseignements
du Chapelain Corten et de l'Archiviste Lebian.
Il
marqua une pause, et le silence n'était troublé que par le bruit
sourd du vaisseau et le travail du serviteur. Chaque initié avait
l'impression que Veryn le regardait directement.
-
Vous connaissez ma fureur et ma patience, n'espérez pas découvrir
les leur. Chacune de ces portes s'ouvre sur un labyrinthe que vous
devez franchir pour atteindre votre objectif. C'est tout ce que vous
devez savoir.
Le
sergent jeta un coup d’œil au servo-crâne qui flottait au coin de
la pièce. Par son œil bionique, les Maîtres observaient et
entendaient tout.
-
Ne vous attendez pas à ce qu'il ne s'agisse que d'une course
d'orientation, ajouta-t-il de son sourire le plus sarcastique. Chef
de section, face à ce défi tu es responsable des conséquences de
ton commandement. Nous verrons si tes valeurs en tant que meneur ont
dépassé le stade de soldat à soldat. J'espère pour toi que chacun
de tes hommes est capable d'endurer individuellement ce qui va leur
arriver.
Halek
ne nourrissait pas de doute à ce propos. Il avait veillé à ce que
chaque initié travaille introspectivement à ses émotions et à sa
propre cohésion.
Les
leçons de Lebian étaient riches de ces notions et il y accordait
une attention toute particulière, ce qui n'avait pas été le cas de
tous ses hommes.
Il
estimait néanmoins que le mal qu'il s'était donné s'avérerait
payant.
-
Mon sort ne sera pas différent de celui de mes hommes, monseigneur.
Veryn
s'esclaffa dans un rire qui mêlait à sa cruauté un semblant de
sympathie.
-
Non, en effet Numéro Neuf, répondit-il en tapotant de la main son
pistolet à plasma. J'espère que tu as fait de ton pire comme je
ferai du mien si tu échoues.
Les
portes s'ouvrirent simultanément, découvrant une lumière qui
inonda la pièce au fur et à mesure qu'elles tournaient sur leurs
gonds dans le claquement de leurs engrenages. Halek, malgré ses
facilités, en fut gêné tout de même alors que ses subordonnés
plissaient les yeux. Pourtant, aucun d'entre eux ne montra de
faiblesse.
L'énorme
silhouette en armure énergétique se retrouva noyée dans l'éclat
aveuglant. Ainsi baigné de lumière, Veryn paraissait plus sombre
encore.
Le
servo-crâne glissa au-dessus de l'épaule du sergent, fixant les
initiés de son œil unique, alors que Veryn écartait les bras.
-
Vous entrez en ces lieux, Initiés. Vous les quitterez Astartes... ou
ne les quitterez pas.
Halek
fut le premier à avancer, suivi de près par ses hommes. Certains
portaient déjà la main à leur couteau tandis que d'autres
faisaient craquer leurs articulations. Levant la main pour se
protéger de la lumière agressive, ils pénétrèrent chacun dans
les mondes créées par leurs Maîtres. Les portes se fermèrent
derrière eux, rendant sa pénombre à l'air glacial de la pièce.
Veryn
ne demanda pas son reste et emprunta le corridor adjacent d'un pas
décidé. Sa foulée faisait trembler le pont et dispersait la
vermine qui vivait entre les tuyauteries. Il croisa quelques membres
d'équipages, des humains affectés à la maintenance auxquels il
n'accorda pas même un regard.
Il
détestait les humains, au point qu'il se moquait parfois de lui-même
pour en avoir été un. Ils étaient faibles, tellement faibles, et
voilà qu'il en avait préparé une poignée qui, bientôt,
deviendraient ses frères. Il s'autorisa un sourire.
La
vie est bien faite, pensa-t-il.
Arrivé
à un carrefour, il chercha de droite et de gauche, impassible, ce
qu'il était venu chercher. A ce niveau, les serviteurs lobotomisés
côtoyaient les techniciens. L'activité soutenue renvoyait en échos
les bruits mécaniques, accompagnés de jets de lumière venant d'une
soudure ou un voyant d'avertissement. Il ne mit pas longtemps à
trouver ce qu'il cherchait. Une forme humaine marchait
maladroitement, tenant dans ses mains changées en pinces un module
quelconque. Bousculée par des esclaves robotisés qui ne faisaient
pas attention à elle, elle perdit l'équilibre et chuta lourdement.
Ce
que l'esclave tenait se brisa en tombant, répandant des composants
électriques qui roulèrent dans les aspérités du sol. Prenant
appui sur ses pinces pour se relever, elle gémit de douleur avant de
réaliser que quelque chose se tenait devant elle. Elle leva des yeux
pétrifiés vers l'Astartes qui la dominait de toute sa stature. La
voix du géant fut la chose la plus terrifiante qu'elle ait jamais
entendu.
-
Cela avait l'air précieux, dit Veryn.
Il
se pencha pour attraper le bras frêle et souleva sans efforts le
maigre corps. Des larmes roulèrent sur le visage de l'esclave et ses
sanglots ne firent qu'attiser le mépris du sergent.
-
Pitié, seigneur ! Je ne l'ai pas fait exprès...
Il
soupira. Décidément, il avait du mal à croire qu'il avait été
humain.
-
Je vais te dire un secret, petite chose, dit-il d'une voix faussement
rassurante. Que ce soit précieux ou non, je n'en ai aucune idée.
Elle
geignait de douleur, s'agitant faiblement dans un vain espoir
d'échapper à la poigne de fer. Elle ne vit pas l'autre main de
Veryn pointer le canon du pistolet à plasma sur ses genoux.
-
Et franchement, je m'en contrefous.
Plus
loin dans le vaisseau, une alerte de type « réparation »
se déclencha.
Des
conduits venaient d'être détruits par ce que les senseurs
qualifièrent de tir d'arme énergétique. L'ordinateur local analysa
les données et convertit le signal d'alarme en ordre de travail, qui
se retrouva alors jeté dans le flux constant parcourant le réseau
commun à tous les serviteurs. L'ordre de réparation fut assigné à
l'unité disponible la plus proche.
17-Sigma-4
venait de perdre un membre dans la déflagration, mais il était vrai
qu'il ne sentait rien. Il se remit maladroitement sur ses jambes
bioniques et scanna de son œil artificiel la surface à réparer.
Derrière lui s'éloignait l'Astartes, qui portait sous le bras une
esclave dont les pleurs furent étouffés quand 17-Sigma-4 commença
à scier le métal dans une pluie d'étincelles.
*
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