mercredi 15 juillet 2020

Chapitre VIII - Émergence




Chapitre VIII

Émergence









Le premier son qu’il distingua fut un bourdonnement, comme le vacarme d’un million d’insectes volant juste derrière ses tympans. Il sentit une chaleur douce quitter sa poitrine. Ses dents enserraient une matière rigide et il essaya de déglutir, pour se rendre compte que quelque chose de dur et creux s’enfonçait douloureusement jusque dans ses poumons. Son premier sentiment semi-conscient fut la confusion de pouvoir respirer malgré l’obstruction de sa mâchoire. Aucun de ses membres ne répondait. Il produisit un immense effort pour ouvrir ses paupières et n’y parvint pas. Il était en réalité bien trop faible pour esquisser le moindre mouvement. Aux limites de sa conscience, loin derrière le sifflement affolé qui résonnait dans ses oreilles, il identifia des voix étouffées sans comprendre ce qu’elles disaient. La chaleur revint, et le sommeil l’engloutit à nouveau.

Une seconde plus tard, il se réveilla. Les voix étaient plus proches et accompagnées de sons électroniques et de « bips » dans une ambiance affairée. La tête d’ Halek lui semblait peser une tonne, mais il parvint à l’orienter à droite, puis à gauche. Malgré cet effort conséquent, il ne parvenait toujours pas à ouvrir les yeux. Il discerna des bruits de pas, tels des coups de marteau sur une enclume, qui s’approchèrent de lui. Une main froide se posa sur son front. Pour la première fois de sa vie, ce genre de contact inconnu de le brusqua pas, pas plus qu’il ne le mit en garde. Il n’avait tout bonnement pas la force ni l’esprit assez clair pour s’en soucier. Il y eut soudain un bruit de déverrouillage, et ce qui obstruait sa trachée en fut extrait sans ménagement. Le trajet du tube fut une expérience très douloureuse qui laissa à Halek une brûlure rémanente de ses poumons jusqu’à ses dents. Le mal fut assez grand pour qu’il entrouvre les paupières, qui furent aussitôt inondées de larmes. Même si la lumière qui l’entourait était faible, elle lui brûla les yeux, et il ne put distinguer que des formes floues. Les distances n’étaient tout simplement pas appréciables, pas plus que la nature de l’endroit où il se trouvait. Quelque chose, ou quelqu’un, se tenait debout à côté de lui et semblait admirer une série de panneaux lumineux. Halek entendit cliqueter une série de boutons, puis le quelque chose glissa hors de son champ de vision sans même avoir donné l’impression de marcher comme un humain. Alors qu’il sentait venir un vertige qui allait l’emporter de nouveau dans le sommeil, une voix résonna. Il la savait proche, mais elle semblait si loin.

- Où en sommes-nous, frère ? Sont-ils tous viables ?

Halek voulut redresser la tête mais une fois encore, ses muscles semblaient aussi souples qu’une corde mouillée. Il dut se contenter d’écouter et d’essayer de comprendre.

- Ils le sont, frère-chapelain, répondit une voix qu’Halek, en dépit de sa situation, détesta sur le champ. Quarante-six, selon vos attentes.

- C’est bien peu, Veryn, dit la première voix en se déplaçant. A ce rythme, nous allons devoir considérer ceci comme l’un de nos derniers recrutements.

- J’ai fait mon maximum avec ce que notre chère planète avait à m’offrir. Croyez-vous que ma nature accepte d’être ainsi utilisé, tel un gardien de troupeau ?

- Je n’aime guère votre ton, frère. Mais je vais mettre ça sur le compte de ma mauvaise expression. Je ne voulais en aucun cas mettre en doute vos compétences.

Les bruits de pas s’arrêtèrent trop près pour qu’Halek se sente en sécurité. Le peu qu’il vit fut une silhouette énorme. Quand la voix résonna de nouveau, Halek comprit que ce n’était pas le sédatif qui parcourait ses veines qui la faisait résonner de façon si métallique.

- Celui-là est en bien triste état.

- Détrompez-vous, chapelain. Ses constantes sont fiables malgré les dégâts que ses poumons ont reçu. La noyade lui a presque été fatale.

- Votre rapport mentionne que vous avez aussi repêché un blessé critique.

La voix détestable s’approcha à son tour, et Halek distingua un visage, malgré les traits miroitants que sa semi-conscience imposait à ses yeux.

- Oui, ils étaient quasiment enlacés l’un à l’autre. Je les ai donc fait remonter tous les deux. Puisqu’on en parle, j’ai fait pratiquer par notre cher adepte une chirurgie abdominale sur cet idiot qui s’est fait tirer dans le dos.

- Pourquoi cette perte de temps, frère ? demanda le « chapelain » avec un ton qui frôlait l’indignation.

- Mais pour suivre vos ordres, Corten, répondit l’autre avec ce qui ressemblait à un rire rapace. J’ai observé celui-là longtemps, jusqu’aux falaises. Il s’est bien débrouillé face aux couguars et malgré le poste que son maître lui avait confié. Il était sous les ordres de l’éventré qui, lui, ne voulait que sa mort pour des raisons stupides. Je l’ai tiré d’affaire pour que vos enseignements portent leurs fruits. Mais je vous en prie, ne me remerciez pas trop tôt.
La voix métallique s’éloigna dans les chocs successifs de ses pas sur le sol.

- Décidément, frère Veryn, parfois je me demande pourquoi je vous ai demandé de m’accompagner.

- Sans moi, vous seriez sans doute trop blasé par les sermons que vous administrez aux recrues, frère-chapelain !

- Une dernière question, avant que vos manières n’outrepassent votre rang. Qu’est-il advenu des couguars ?

- Morts, évidemment. Un bolt chacun, dans l’œil. Rien de plus simple.

Halek parvint à se demander s’il avait bien entendu. Tant de suffisance pour une phrase qui, pour lui, relatait un exploit. La voix s’exclama de nouveau, comme si elle se souvenait de quelque chose.

- Ah oui ! Et j’en ai ramené deux aussi ! Des jeunes, à peine sevrés. Je suis passé devant leur tanière en descendant la falaise. J’y suis retourné après avoir réglé leur compte aux adultes. Je me suis dit que ça ferait un beau cadeau au plus méritant de ces abrutis.

Un ricanement artificiel émana du chapelain.

- Finalement, Veryn, ici vous êtes dans votre élément.

Halek entendit coulisser une porte, dont le verrouillage fut précédé d’un sifflement de pressurisation. Ses yeux s’habituaient peu à peu, et ils croisèrent le regard de Veryn lorsque ce dernier le ramena sur lui. Il pencha la tête sur le côté, comme pour examiner Halek à la manière d’un oiseau de proie.

- L’humour n’a jamais été son fort. Tu comprends ce que je dis ?

Un bref hochement de tête fut tout ce qu’Halek put exprimer. L’autre parut satisfait et se mit à parcourir les lignes d’une plaque de données.

- Bien, très bien. Tu verras, la compassion non plus. Et la pitié…

Il rit aux éclats vers le plafond, un rire si tranchant que la créature mécanique qu’Halek avait vu en s'éveillant émit une rafale de clics informatiques de mécontentement.

Veryn se replongea dans ses données, encore agité de soubresauts hilares.

La pitié, par le sang de l’Empereur. Qu’est-ce qu’il peut détester ça !





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