Chapitre
XV
Intomia
Laisser
son esprit divaguer et songer au gouffre froid de l'espace était une
chose que les humains faisaient depuis des temps immémoriaux. Ils
passaient de l'émerveillement à la stupéfaction selon les chimères
qu'ils imaginaient et celles qu'ils finirent par découvrir. Le
voyage spatial devint très tôt une réalité, permettant à
l'Humanité d'expérimenter ce nouvel élément, de s'en imprégner
et de perfectionner les technologies. Au cours des années passées à
glisser silencieusement dans le cosmos, nombre d'explorateurs eurent
l'occasion de laisser, eux aussi, leurs pensées dériver telles des
comètes inconscientes. Progressivement, de nouveaux phénomènes
furent observés, de nouvelles manières d'appréhender le voyage
spatial furent élaborées.
Cependant,
rien ne vint enrayer la fascination des hommes pour ce vide béant et
vaste, ni la peur viscérale qu'ils ressentaient à la folle idée
que d'immenses menaces rôdaient, invisibles et froides, entre les
étoiles.
Dans
le Secteur Nostramo, apparut un vaisseau qui portait au pinacle
l'idée que se faisaient les colons de jadis d'un prédateur
stellaire. Sa coque noire engloutissait les étoiles devant
lesquelles il passait. De ses moteurs grésillait un souffle
infernal.
Ses
innombrables batteries défensives étaient autant de pointes acérées
qui étaient prêtes à foudroyer le premier imprudent venu troubler
le calme apparent de la nef sinistre. Sa proue massive était ornée
d'un crâne malfaisant à l'expression moqueuse, encadré d'une paire
d'ailes décharnées.
Corten,
Lebian et Veryn observaient l'Intomia alors qu'il arrivait
face à eux, légèrement au-dessus de l'Abhorrent. Depuis la
passerelle, le panorama avait somme toute quelque chose d'artistique,
pour peu que cette notion ait un quelconque intérêt pour les Night
Lords. L'immense vaisseau les surplombait, auréolé dans son dos des
rayons agressif de l'étoile, qui jaillissaient comme autant de
lances lumineuses des superstructures cauchemardesques.
-
Le Premier Capitaine sait soigner ses entrées. Dit Veryn en
esquissant un sourire.
Corten
gardait les yeux fixés sur l'Intomia, qui était en phase de
décélération. Tous les serviteurs de la passerelle en faisaient
autant, à l'exception des esclaves lobotomisés greffés à leur
poste de travail et insensibles à toute forme de distraction. Lebian
avait les yeux fermés, l'esprit concentré en une mince méditation
alors qu'il sondait de son esprit la coque du vaisseau. Ça et là
demeuraient, accrochées fébrilement au métal aiguisé, les traces
fossiles des consciences du Warp qui avaient navigué dans le sillage
du cuirassé.
D'un
geste de la main, Corten ordonna sans mot dire aux officiers de pont
d'ouvrir une fréquence avec le nouvel arrivant. Une poignée de
secondes fut nécessaire pour que le signal soit établi, fort et
clair.
-
Intomia, de l'Abhorrent. Nous sommes prêts à vous
recevoir à bord.
Un
silence fut sa seule réponse. Les grésillements de la fréquence
furent bientôt remplacés par une série d'alarmes. Des runes de
ciblage apparurent automatiquement en réponse à l'alerte de bord,
clignotant d'un rouge vif.
Parmi
elles, une rune que Corten qualifia de circonstance puisqu'elle
reprenait en Gothique le nom du vaisseau au-dessus d'eux en un
avertissement clignotant :
INTOMIA.
MENACE.
Un
officier à l'uniforme délavé s'exclama d'une voix paniquée.
-
Monseigneur, le... l'Intomia vient de nous verrouiller avec
ses modules de visée, nous captons une hausse de ses émissions
énergétiques, devons-nous lever les boucliers ?
Lebian
ouvrit les yeux, avant que sa voix calme ne porte sur le pont.
-
N'en faites rien. Comme l'a si bien souligné le Sergent Veryn, notre
Premier Capitaine accorde grand soin à ses arrivées. Il s'agit
d'une manœuvre d'intimidation, ses navettes sont déjà en train de
décoller pour nous rejoindre.
A
ces mots, les senseurs signalèrent de nouveaux échos en déplacement
rapide. Un escadron venait de quitter l'Intomia et filait à
toute vitesse. Alors que le petit groupe évoluait en un large cercle
qui les amènerait sur les flancs de l'Abhorrent, la fréquence
se remit à grésiller avant qu'une voix ne recouvre la passerelle
d'une chape de brume, plus froide que la mort.
-
Abhorrent, nous sommes venus pour vous.
La
connexion fut coupée sans ménagement, et Corten fronça les
sourcils en soupirant bruyamment. Il fit volte-face et, coiffant son
casque, marcha d'un pas décidé vers le turbo-lift qui conduisait au
hangar tribord.
Lebian
lui emboîta le pas, non sans avoir au préalable pris la peine
d'armer son pistolet bolter.
Veryn
se retrouva soudain bien seul, et décida qu'il préférait se
joindre aux retrouvailles. Avant de quitter la passerelle, il marcha
vers l'officier responsable des systèmes d'armement qui, de toute
évidence, n'avait aucune envie de prendre part à une conversation
avec le caractériel sergent.
-
Toi ! Dit Veryn en dominant l'humain de sa stature imposante.
L'officier
semblait ratatiné face à l'Astartes, mais tenait visiblement à
faire bonne figure et ne bronchait pas.
-
Monseigneur ?
-
Si l'Intomia ouvre le feu sur nous et que nous sommes
condamnés, je te tiendrai personnellement pour responsable. Si tu
n'es pas foutu de riposter efficacement, je jure sur le sang de mon
Père que je reviendrai ici pour te vider de tes entrailles avant que
nous explosions tous.
Il
quitta la passerelle, satisfait du petit effet qu'il avait eu sur
l'équipage. Aucun de ces humains n'oserait baisser sa garde l'espace
d'une seconde désormais, convaincus que son avertissement les
concernait tous. Ils n'avaient pas tort, mais Veryn estima que les
probabilités pour qu'un tel scénario se produise étaient tout au
plus faibles.
Le
hangar était fidèle à l'image que le commun des mortels pouvait se
faire de lui : stérile, inanimé, empreint d'une atmosphère
aux relents d'huile et de chaleur mécanique. Les quelques vaisseaux
de transport qu'il abritait étaient tous en maintenance, entretenus
par des esclaves dans des conditions dont Corten n'avait que faire.
Son
masque à tête de mort observait par ses lentilles écarlates le
transport Thunderhawk en approche finale, escorté par deux
vaisseaux de combat.
Le
fracas de leurs moteurs résonna dans le hangar quand la formation
franchit les boucliers de protection. L'imposant transport se posa
lourdement sur le sol d'acier, écrasant sous son poids les
amortisseurs hydrauliques de ses trains d'atterrissage.
Dans
le chuintement des turbines qui ralentissaient, la rampe de nez
s'abaissa alors que les premiers serviteurs connectaient le fuselage
du Thunderhawk aux modules de ravitaillement du hangar.
Au
même moment, Veryn finit par rejoindre le Chapelain et l'Archiviste,
non sans croiser du regard les lentilles rouges visibles dans le
cockpit.
L'Astartes
qui descendit la rampe portait un casque coiffé d'une paire d'ailes
rouge sang. Sa plaque faciale rappelait celle de Corten et son
armure, faute d'être décorée de parchemins, était ornée de
lambeaux de chair. Son épaulière droite était sculptée pour
représenter le crâne d'un cougar de Nostramo, symbole
d'appartenance à la Première Compagnie de la 8ème légion.
Il
portait, nonchalamment par-dessus l'épaule, une hallebarde
tronçonneuse, une arme incarnant toute la sauvagerie nostramienne et
qui suscitait autant de jalousies que de craintes.
Jago
Sevatarion, Premier Capitaine des Night Lords, se campa devant son
comité d'accueil et retira son casque, découvrant des yeux cruels
et un rictus mauvais barré par une cicatrice.
-
Premier Capitaine, le salua Corten. Bienvenue chez vous.
-
Premier Chapelain, répondit Sevatar. Il jeta un regard à Lebian et
à Veryn, tous les deux dépourvus de casque. Veuillez excuser mon
protocole de contact, je tenais à m'assurer qu'aucun doute ne
perdure quant à mes bonnes intentions.
Du
casque du Chapelain ne suinta aucune émotion.
-
Les initiés sont prêts à affronter leur épreuve. Le Frère-Sergent
Veryn et le Frère-Archiviste Lebian, ici présents, ainsi que
moi-même avons suivi les directives de notre Primarque à la lettre.
Ces initiés formeront la souche des futures Escouades Terreur et les
recrutements suivants seront largement optimisés par nos travaux
depuis le début de notre présence.
Sevatar
ne sembla guère impressionné, se contentant de jauger ses
interlocuteurs. Veryn semblait captivé par sa hallebarde.
-
Avez-vous quelque chose à ajouter, Sergent ?
Corten
demeura impassible, mais fermait les yeux derrière son casque en
espérant que rien ne dérape. Il s'en serait presque voulu de tuer
lui-même son subordonné si la situation dégénérait.
Veryn
hocha la tête sur le côté, en haussant légèrement les épaules.
-
Eh bien, Premier Capitaine, je ne peux qu'admirer le travail
remarquable qui a été effectué sur votre arme. A n'en pas douter,
elle doit être d'une efficacité exquise. Sa renommée au sein de la
légion égale la vôtre.
Lebian
se sentit rassuré intérieurement, que Veryn eut usage de mots aussi
convenables, pour une fois. Il se retint de lui lancer un regard
suspect, et préféra profiter de cette surprise bienvenue.
C'était
sans compter sur son indéfectible condescendance.
-
Je trouve qu'elle gagnerait en notoriété à être maniée par un
Sergent plutôt qu'un Capitaine.
Plus
rapide que l'éclair, Corten s'était retourné, la main crispée sur
son pistolet. Cet imbécile allait les tuer tous, s'il n'était pas
déjà trop tard.
Veryn
n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit d'autre tant le regard
mortifère était campé dans le sien. Le silence qui s'ensuivit fut
rompu par un bruit acéré qui se répéta en résonnant contre
l'acier du hangar.
Malgré
leur âge, ni Corten, Premier Chapelain de la légion, ni Lebian,
comptant parmi les doyens des forces de l'Imperium, n'avaient entendu
ce son auparavant.
Sevatar
riait.
*
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