mercredi 15 juillet 2020

Chapitre X - Premier sang




Chapitre X

Premier sang









Le temps n'avait pas cours à bord de l'Abhorrent. Le vaisseau était exigu, spartiate et presque aussi froid que le vide dans lequel il naviguait. Ses coursives abritaient une vie peu foisonnante, mais régulière et travailleuse. Sous les panneaux d'acier grondaient les circuits qui donnaient vie au vaisseau dans un bruit de fond permanent. L'air était sec et dénué de saveur.

Les serviteurs cybernétiques se croisaient au cours de leurs besognes, sans se considérer les uns les autres. Noyé parmi les centaines de serfs de maintenance, il en était un dont l'oeil unique était un implant, un boîtier optique enserrant son crâne traduisant les images communiquées par une lentille verte au milieu du front.
Ses yeux avaient depuis longtemps été retirés, laissant place à deux orbites barrées d'une cicatrice couturée grossièrement.

Dans une autre vie, l'acolyte désigné 17-Sigma-4 répondait à un autre nom, un nom bien plus humain. De ce nom, il ne gardait aucune mémoire, pas plus qu'il ne se souvenait de son âge ou du crime qui l'avait conduit aux laboratoires pénitentiaires. Ses mains, qui furent en d'autres temps couvertes du sang de son maître, étaient devenues des extensions mécaniques répondant aux programmes automatisés implantés dans son cerveau asservi. Il se fichait du temps, il se fichait de manger, dormir ou boire.
17-Sigma-4 ne parlait pas, ne riait pas, ne pleurait pas. Aucun dialogue, aucune interaction ne figuraient parmi la liste de protocoles présents dans son unité de contrôle, hormis les rapports binaires qu'il transmettait automatiquement à chaque fois qu'un travail était terminé, pour recevoir dans la même seconde l'ordre de maintenance suivant.

Son espèce était divisée en un nombre infini de catégories. Les activités ne manquaient pas de diversité sur un vaisseau de l'Adeptus Astartes. Certains opéraient dans les quartiers de l'équipage, d'autres dans les coursives de propulsions saturées d'électricité statiques. D'autres encore, étaient lourdement modifiés pour effectuer des réparations sur la coque dans le vide de l'espace.
Quel que furent leurs crimes, ils purgeaient leur peine éternelle en servant l'Empereur de l'Humanité au sein de Ses armées.

17-Sigma-4 était tout sauf spécialisé. Son sort se résumait à errer dans les coursives d'un vaisseau dont il ignorait le nom, usant de ses fonctions artificielles pour serrer, desserrer, graisser, souder.
Concentré sur sa tâche, l'automate ne prêta aucune attention à la silhouette sombre qui marchait le long du couloir et qui, en passant devant les faibles lumiglobes de service, plongea brièvement la zone de travail de 17-Sigma-4 dans l'ombre. Sa seule réaction fut provoquée par son boîtier optique qui compensa la brève obstruction lumineuse par une augmentation artificielle de sa vision de sorte que son travail ne souffre aucun retard.

La porte s'ouvrit en glissant sur son rail dans un bruit d'engrenages mal entretenus.
Le Chapelain Corten entra en se demandant à quoi pouvaient bien servir tous ces pions écervelés s'ils n'étaient pas capables de lubrifier une porte. Sa présence ajouta le grondement de son armure énergétique à celui de Veryn, debout face à une rangée de moniteurs.
Chaque écran diffusait une image plus ou moins parasitée selon son âge, certains étant apparemment arrivés en fin de vie. Corten se plaça à la hauteur de Veryn et le salua d'un hochement de tête. Ses lentilles couleur sang reflétaient en kaléidoscope les parasites bleutés des moniteurs.

- Frère Chapelain, le salua Veryn sur un ton morne, lui rendant son hochement de tête.

Il ne portait pas de casque. La lueur de la pièce donnait une teinte bleutée à sa tête cernée de runes. Il adoptait une posture relâchée, une main sur la hanche, l'autre caressant son menton alors qu'il analysait les projections. A sa droite, un servo-crâne flottait dans un son faible mais curieux, presque éthéré. Deux appendices ressemblant à des faux pendaient de la mâchoire sans vie, d'où tombait une liasse de câbles en tous genres, reliés à l'unité centrale de la pièce.
Ainsi pris en tenaille par deux têtes de mort, Veryn garda pour lui le comique de la situation, se gardant pour cette fois de lancer une mauvaise blague. Au lieu de ça, il désigna le moniteur qui regroupait les statistiques vitales des recrues qui se battaient sous leurs pieds.

- Déjà deux novices abattus. Six serviteurs perdus. Cela fait beaucoup de pertes depuis leur arrivée. Nous en sommes à quatorze.

- Quinze, le reprit Corten. Auriez-vous oublié votre excès de zèle, frère Veryn ?

Un candidat sérieux aurait au moins esquissé un mouvement. Je nous ai débarrassés d'une bouche à nourrir.

Le son qui émana du casque noir traduisit un soupir.

- Six serviteurs pour deux pertes, le ratio est médiocre mais positif. Nous devons considérer l'adaptation de nos méthodes de travail pour cesser de perdre des recrues dans des boucheries relevant plus de l'inexpérience que de l'instinct ou du mental. Notre travail ici ne relève pas des schémas de recrutement standards.

- Puisque vous mettez le doigt dessus, frère-Chapelain, permettez-moi tout de même de vous informer que cinq des six serviteurs ont été abattus par le même binôme. Les numéros 9 et 15.

- Le numéro 9...le noyé ?

- Affirmatif. Ses facultés de récupération n'ont rien d'extraordinaire, mais il s'est avéré capable de prendre des initiatives plus perspicaces que ses camarades. Il a obtenu le meilleur score à la Salle Blanche, sans doute ses yeux semi-terrans sont-ils moins sensibles à la lumière que nous.

Corten avança d'un pas vers les écrans dans le tintement des chaînes qui pendaient à sa ceinture et observa les sujets 9 et 15. Ils progressaient de concert, méthodiquement et avec précision. Le premier était facilement reconnaissable à la couleur de ses yeux et marchait en tête, tenant un poignard pris à sa première victime dans sa main. Un septième serviteur, tout en muscles et en implants mécaniques, les attendait dans un couloir adjacent. Son visage parcouru de vaisseaux sanguins dilatés était crispé autour d'une bouche aux dents serrées d'où coulait une bave écumante.

- Pourquoi n'y en a-t-il qu'un seul qui ait ramassé un poignard ? Demanda Corten en se retournant vers Veryn comme s'il en était responsable.

- Pardonnez mon manque de concentration, frère-chapelain, mais surveiller une trentaine de recrues en même temps n'est pas tâche aisée et écouter leurs pleurnicheries l'est encore moins. Mais si je me souviens bien, le numéro 15 n'a pas eu le droit d'en prendre un car il ne l'avait « pas mérité ».


Ramenant son regard sur l'écran, le Chapelain observa les deux recrues et remarqua le langage des signes qu'ils utilisaient. Une seconde plus tard, le numéro 15 plongea au travers du couloir, attirant immédiatement le serviteur qui prit sa course en beuglant.
Sa silhouette luisante de sueur, dopé aux drogues de combat, il faisait trembler le métal sur lequel il courait de sa démarche lourde et pataude. A l'instant où l'automate franchit le seuil du couloir, le numéro 9 tomba du plafond, enserrant le cou du serviteur fou entre ses jambes. La créature n'eut pas le temps de lever les bras pour se débarrasser de l'agresseur que le poignard glissa le long de sa gorge, ajoutant à sa transpiration acide un flot de sang noir et collant. Finissant son mouvement de taille, Numéro 9 sauta en tournoyant de la masse de muscles en train de s'affaisser pour retomber, genou à terre, face à...

- Sa sixième victime, déclara Veryn en découvrant ses crocs dans un mince sourire. Ce bâtard est prometteur. Son acolyte est moins efficace au combat cependant, même si le travail en binôme semble être utile à notre petit prodige.

Corten manipula une molette sur le panneau de commande. L'image du couloir s'agrandit, zoomant avec une efficacité toute relative vers la recrue Numéro 9 qui se remettait sur pieds, rejointe par son binôme. La résolution détailla ses yeux bleus qui regardaient avec dédain le cadavre puant à ses pieds. Le Chapelain leva une main gantée vers le visage du jeune nostramien, désignant du doigt le sourire qui s'y dessinait.


- Ça, frère Veryn, dit-il. C'est ça qui lui est utile.





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