Chapitre
X
Premier
sang
Le
temps n'avait pas cours à bord de l'Abhorrent.
Le vaisseau était exigu, spartiate et presque aussi froid que le
vide dans lequel il naviguait. Ses coursives abritaient une vie peu
foisonnante, mais régulière et travailleuse. Sous les panneaux
d'acier grondaient les circuits qui donnaient vie au vaisseau dans un
bruit de fond permanent. L'air était sec et dénué de saveur.
Les
serviteurs cybernétiques se croisaient au cours de leurs besognes,
sans se considérer les uns les autres. Noyé parmi les centaines de
serfs de maintenance, il en était un dont l'oeil unique était un
implant, un boîtier optique enserrant son crâne traduisant les
images communiquées par une lentille verte au milieu du front.
Ses
yeux avaient depuis longtemps été retirés, laissant place à deux
orbites barrées d'une cicatrice couturée grossièrement.
Dans
une autre vie, l'acolyte désigné 17-Sigma-4 répondait à un autre
nom, un nom bien plus humain. De ce nom, il ne gardait aucune
mémoire, pas plus qu'il ne se souvenait de son âge ou du crime qui
l'avait conduit aux laboratoires pénitentiaires. Ses mains, qui
furent en d'autres temps couvertes du sang de son maître, étaient
devenues des extensions mécaniques répondant aux programmes
automatisés implantés dans son cerveau asservi. Il se fichait du
temps, il se fichait de manger, dormir ou boire.
17-Sigma-4
ne parlait pas, ne riait pas, ne pleurait pas. Aucun dialogue, aucune
interaction ne figuraient parmi la liste de protocoles présents dans
son unité de contrôle, hormis les rapports binaires qu'il
transmettait automatiquement à chaque fois qu'un travail était
terminé, pour recevoir dans la même seconde l'ordre de maintenance
suivant.
Son
espèce était divisée en un nombre infini de catégories. Les
activités ne manquaient pas de diversité sur un vaisseau de
l'Adeptus Astartes. Certains opéraient dans les quartiers de
l'équipage, d'autres dans les coursives de propulsions saturées
d'électricité statiques. D'autres encore, étaient lourdement
modifiés pour effectuer des réparations sur la coque dans le vide
de l'espace.
Quel
que furent leurs crimes, ils purgeaient leur peine éternelle en
servant l'Empereur de l'Humanité au sein de Ses armées.
17-Sigma-4
était tout sauf spécialisé. Son sort se résumait à errer dans
les coursives d'un vaisseau dont il ignorait le nom, usant de ses
fonctions artificielles pour serrer, desserrer, graisser, souder.
Concentré
sur sa tâche, l'automate ne prêta aucune attention à la silhouette
sombre qui marchait le long du couloir et qui, en passant devant les
faibles lumiglobes de service, plongea brièvement la zone de travail
de 17-Sigma-4 dans l'ombre. Sa seule réaction fut provoquée par son
boîtier optique qui compensa la brève obstruction lumineuse par une
augmentation artificielle de sa vision de sorte que son travail ne
souffre aucun retard.
La
porte s'ouvrit en glissant sur son rail dans un bruit d'engrenages
mal entretenus.
Le
Chapelain Corten entra en se demandant à quoi pouvaient bien servir
tous ces pions écervelés s'ils n'étaient pas capables de lubrifier
une porte. Sa présence ajouta le grondement de son armure
énergétique à celui de Veryn, debout face à une rangée de
moniteurs.
Chaque
écran diffusait une image plus ou moins parasitée selon son âge,
certains étant apparemment arrivés en fin de vie. Corten se plaça
à la hauteur de Veryn et le salua d'un hochement de tête. Ses
lentilles couleur sang reflétaient en kaléidoscope les parasites
bleutés des moniteurs.
-
Frère Chapelain, le salua Veryn sur un ton morne, lui rendant son
hochement de tête.
Il
ne portait pas de casque. La lueur de la pièce donnait une teinte
bleutée à sa tête cernée de runes. Il adoptait une posture
relâchée, une main sur la hanche, l'autre caressant son menton
alors qu'il analysait les projections. A sa droite, un servo-crâne
flottait dans un son faible mais curieux, presque éthéré. Deux
appendices ressemblant à des faux pendaient de la mâchoire sans
vie, d'où tombait une liasse de câbles en tous genres, reliés à
l'unité centrale de la pièce.
Ainsi
pris en tenaille par deux têtes de mort, Veryn garda pour lui le
comique de la situation, se gardant pour cette fois de lancer une
mauvaise blague. Au lieu de ça, il désigna le moniteur qui
regroupait les statistiques vitales des recrues qui se battaient sous
leurs pieds.
-
Déjà deux novices abattus. Six serviteurs perdus. Cela fait
beaucoup de pertes depuis leur arrivée. Nous en sommes à quatorze.
-
Quinze, le reprit Corten. Auriez-vous oublié votre excès de zèle,
frère Veryn ?
– Un
candidat sérieux aurait au moins esquissé un mouvement. Je nous ai
débarrassés d'une bouche à nourrir.
Le
son qui émana du casque noir traduisit un soupir.
-
Six serviteurs pour deux pertes, le ratio est médiocre mais positif.
Nous devons considérer l'adaptation de nos méthodes de travail pour
cesser de perdre des recrues dans des boucheries relevant plus de
l'inexpérience que de l'instinct ou du mental. Notre travail ici ne
relève pas des schémas de recrutement standards.
-
Puisque vous mettez le doigt dessus, frère-Chapelain, permettez-moi
tout de même de vous informer que cinq des six serviteurs ont été
abattus par le même binôme. Les numéros 9 et 15.
-
Le numéro 9...le noyé ?
-
Affirmatif. Ses facultés de récupération n'ont rien
d'extraordinaire, mais il s'est avéré capable de prendre des
initiatives plus perspicaces que ses camarades. Il a obtenu le
meilleur score à la Salle Blanche, sans doute ses yeux semi-terrans
sont-ils moins sensibles à la lumière que nous.
Corten
avança d'un pas vers les écrans dans le tintement des chaînes qui
pendaient à sa ceinture et observa les sujets 9 et 15. Ils
progressaient de concert, méthodiquement et avec précision. Le
premier était facilement reconnaissable à la couleur de ses yeux et
marchait en tête, tenant un poignard pris à sa première victime
dans sa main. Un septième serviteur, tout en muscles et en implants
mécaniques, les attendait dans un couloir adjacent. Son visage
parcouru de vaisseaux sanguins dilatés était crispé autour d'une
bouche aux dents serrées d'où coulait une bave écumante.
-
Pourquoi n'y en a-t-il qu'un seul qui ait ramassé un poignard ?
Demanda Corten en se retournant vers Veryn comme s'il en était
responsable.
-
Pardonnez mon manque de concentration, frère-chapelain, mais
surveiller une trentaine de recrues en même temps n'est pas tâche
aisée et écouter leurs pleurnicheries l'est encore moins. Mais si
je me souviens bien, le numéro 15 n'a pas eu le droit d'en prendre
un car il ne l'avait « pas mérité ».
Ramenant
son regard sur l'écran, le Chapelain observa les deux recrues et
remarqua le langage des signes qu'ils utilisaient. Une seconde plus
tard, le numéro 15 plongea au travers du couloir, attirant
immédiatement le serviteur qui prit sa course en beuglant.
Sa
silhouette luisante de sueur, dopé aux drogues de combat, il faisait
trembler le métal sur lequel il courait de sa démarche lourde et
pataude. A l'instant où l'automate franchit le seuil du couloir, le
numéro 9 tomba du plafond, enserrant le cou du serviteur fou entre
ses jambes. La créature n'eut pas le temps de lever les bras pour se
débarrasser de l'agresseur que le poignard glissa le long de sa
gorge, ajoutant à sa transpiration acide un flot de sang noir et
collant. Finissant son mouvement de taille, Numéro 9 sauta en
tournoyant de la masse de muscles en train de s'affaisser pour
retomber, genou à terre, face à...
-
Sa sixième victime, déclara Veryn en découvrant ses crocs dans un
mince sourire. Ce bâtard est prometteur. Son acolyte est moins
efficace au combat cependant, même si le travail en binôme semble
être utile à notre petit prodige.
Corten
manipula une molette sur le panneau de commande. L'image du couloir
s'agrandit, zoomant avec une efficacité toute relative vers la
recrue Numéro 9 qui se remettait sur pieds, rejointe par son binôme.
La résolution détailla ses yeux bleus qui regardaient avec dédain
le cadavre puant à ses pieds. Le Chapelain leva une main gantée
vers le visage du jeune nostramien, désignant du doigt le sourire
qui s'y dessinait.
-
Ça, frère Veryn, dit-il. C'est ça qui lui est utile.
*
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