vendredi 31 juillet 2020

Épilogue




Épilogue











La peau tendue ruisselait de sang sous un ciel bas et lourd. Écartelée entre deux spires, la carcasse exposait à la cité ses entrailles répugnantes. Ses bras étaient écartés, accrochés avec du fil barbelé aux tuiles humides. Du visage en ruines, il ne restait plus grand chose. Ses yeux avaient été arrachés et jeté en contrebas, où des corbeaux se battaient pour récupérer le butin. Dans les orbites vides avaient été enfoncés les ongles arrachés aux mains et aux pieds.
Ses lèvres et sa langue avaient été tranchées. Cela n'empêchait pas le condamné de gémir dans le microvox qui pendait à son cou. Ses râles d'agonie étaient retransmis en échos sinistres dans tout le disctrict de Nostramo Quintus, portés par les vents pollués jusque dans les cœurs des habitants.

Sur le toit opposé, au milieu des stryges et des cheminées, se tenait une ombre parmi les ombres. De ses yeux rouges, elle fixait le cadavre plaintif sans aucun plaisir, ni aucun remords.
Le gang des Barbelés n'était plus. Ils avaient tenté de l'arrêter avec leurs armes pathétiques ; il leur avait brisé les os comme des allumettes. Leur bête ridicule lui avait sauté dessus, mais il l'avait arrêté en plein saut en l'attrapant par le cou.
Elle avait jappé, faisant claquer ses crocs dans le vide en griffant son armure dans une frénésie risible. D'un simple geste, il lui avait brisé la nuque et avait renvoyé le cadavre rouler aux pieds de son maître, dont le visage masqué avait eu bien du mal à garder sa prestance.
Saoul de terreur, il avait pensé en réchapper en balbutiant des promesses inutiles. Ce n'est que lorsque le géant avait retiré son casque qu'il l'avait reconnu. Il l'avait alors appelé par son prénom, un prénom que seules deux personnes connaissaient, et l'une d'elles était morte.
C'est pour Celyne qu'il était venu, mais le chef du gang révéla au géant qu'une autre femme avait voulu le venger.
Elle avait tué quatre hommes, et les autres l'avaient gardée captive pour lui faire payer son audace. L'un d'eux, un retors aux cheveux longs et sales, au ventre barré de cicatrices, avait fait d'elle l'objet de sa rancune.

Il avait refusé d'en dire plus, constatant la fureur de son adversaire. Ce dernier lui avait fracassé les côtes à coups de poings pour le forcer à parler.

C'est en vomissant du sang à travers son respirateur qu'il avait avoué, agonisant, que son second l'avait gardée prisonnière, enchaînée à la merci de tous les abus et tortures que le gang avait imaginé, des mois durant.
Quand elle fut devenue trop faible, son corps ravagé et meurtri fut livré en pâture aux carnivores des bas-fonds. Les hanches brisées, sous les rugissements de la foule, elle avait crié son nom sous le supplice.

Un grésillement dans ses oreilles le tira de ses pensées.

- Capitaine ?

Ses yeux restèrent figés sur l'épouvantail sanglant qu'était devenu Dorkh.

- Kordha.

Numéro Trois.

- Le Leviathan est prêt à quitter l'orbite vers le point de saut. La flotte nous attend, frère. Nous ne sommes pas encore à la manœuvre mais l'impatience de Veryn devient... agaçante.

Certaines choses ne changeraient jamais...

- Cependant, il attendra, répondit Vytraan d'une voix calme. La galaxie peut brûler sans nous, quelques heures de plus.

Quitter Nostramo, il n'aurait jamais pensé le faire un jour. Puisque le temps était venu, autant profiter quelques instants de plus du spectacle.
La pluie commençait à tomber. La lueur de l'éclipse éternelle creva les nuages, donnant à la cité l'aspect fade qu'elle avait toujours eu, en palette de cobalt et d'ardoise sous le ciel ocre.

Les corbeaux décidèrent soudain de délaisser les yeux glissants et peu pratiques, pour se délecter de viande fraîche directement sur leur proie.
La plainte du nostramien monta crescendo et résonna dans les rues alors que ses chairs étaient arrachées de ses os.
Très vite, d'autres charognards se joignirent à la curée, et l'averse se fit plus forte.

L'Astartes s'accroupit, penchant la tête sur le côté comme il savourait le goût de la revanche. Fut un temps où la chaîne alimentaire faisait de Dorkh un prédateur dangereux pour lui.

Au son des hurlements, Vytraan concéda avec un sourire sadique que certaines choses pouvaient changer.




*






Chapitre XX - Night Haunter




Chapitre XX

Night Haunter









La salle du trône n'avait rien de ce qu'on pouvait imaginer en tant que telle. Ses vitraux creux, sans couleurs, évoquaient des scènes de carnage et d'horreur. Aux colonnes de pierre étaient rivetées des cages, des corps décharnés où la vermine venait se repaître. Une forêt de chaînes pendait de la voûte ferrée, tintant contre des bannières déchirées qui se balançaient mollement.

Au dehors, le froid de l'espace était encombré par des vaisseaux de guerre aux couleurs sinistres. Aucun d'entre eux, cependant, n'était assez macabre pour rivaliser avec le Nightfall. Le vaisseau-amiral des Night Lords évoquait un requin terrible, lent et froid, prêt à déchaîner une violence inconcevable à tout instant. Tel un banc de prédateurs, le groupe se laissait dériver aux abords d'une planète désertique, prisonnière d'une atmosphère turquoise. Un monde de plus allait subir de plein fouet les cataclysmiques conséquences de son refus à intégrer l'Imperium.

Ce spectacle n'émerveillait aucunement les guerriers présents dans l'enceinte, habitués à ce temps de préparation qui précédait chaque conquête, durant lequel le calme latent n'était qu'une chape de brume trompeuse.
La sauvagerie, bientôt, éclaterait.

Debout, sans casques, ils restaient silencieux, comme de sombres gardiens aux ordres de leur maître. À leur tête, Sevatar portait comme à son habitude sa hallebarde posée sur l'épaule avec négligence. Certains ici-même l'enviaient, il le savait, mais ne s'en souciait pas. En ce lieu, ils n'étaient pas ennemis.
Ils étaient le Kyroptera, l'élite de la légion, le cercle de conseillers directs de leur Père. Seul Corten, un sergent aux états d'arme exemplaires, n'appartenait pas à la confrérie.

À en juger par les regards dont il était la cible, certains se demandaient pourquoi, lui aussi, avait été convoqué. De telles considérations n'étaient pas de leur ressort et, même s'ils s'interrogeaient, ils étaient tous des officiers exceptionnels à même de ne pas perdre de temps sur des suppositions.
Juger les ordres de leur Père n'était pas concevable pour eux.

Son trône d'obsidienne, épineux et tranchant, les surplombait.
Personne n'aurait pu dire si Konrad Curze, Primarque des Night Lords, évoquait plus un monarque sans pitié ou un roi vaincu, aux ailes brisées.

Sa cape faite de peaux suturées tombait en cascade de son trône. Son visage, plus froid que la mort, était encadré de ses longs cheveux noirs et ses minces lèvres violacées cachaient un sourire plus effrayant que n'importe quelle lame.
La voix du Primarque évoquait un roulement de galets dans une rivière de sang.

- Corten, avance.

Le sergent vint se placer sous le regard du Primarque, mettant un genou à terre. Les Night Lords ne s'agenouillaient que devant leur père.

- Tu retournes sur Nostramo.

La stupéfaction se lit dans les yeux de Corten. Autour de lui le Kyroptera échangea des regards emplis de moquerie, à l'exception de Sevatar.
Konrad parla avant que l'un de ses fils n'ait le temps de le faire.

- Je ne t'y envoie guère faire pénitence, mon fils, dit-il. Depuis trop longtemps, la légion est rejointe par de vils individus indignes de mon sang.
Des incapables ignares et perdus à mille lieues de mes enseignements polluent nos rangs.

Les mots du Night Haunter ajoutèrent au froid de la salle le souffle glacé de ses remontrances.

- J'ai appris que les Word Bearers, dans le souci d'entretenir leur foi idiote, avaient créé un ordre de Chapelains chargés de sermonner et diffuser le credo de Lorgar à ses fils. Malgré l'inimitié que je peux ressentir envers mon frère, ce concept m'a séduit. J'ai décidé que la légion inclurait dorénavant des Chapelains pour assurer que tous respectent mes édits.

Il se leva, tendant une main griffue vers le sergent à genoux.

- Corten, je te nomme Premier Chapelain de la légion. Je connais ta valeur et ta loyauté. Tu vas partir pour Nostramo et veiller à ce que mes fils ne reçoivent mes gènes que s'ils les méritent. Ils seront le bras armé qui sèmera la mort en avant de la légion.
Ils seront l'incarnation de mon courroux et rappelleront à la galaxie la sentence qui attend les systèmes séditieux.
Donne-moi une nouvelle Compagnie, Corten. Une Compagnie de la Terreur.

Le Premier Chapelain acquiesça.

- Je ferai selon vos ordres, monseigneur.

Le Primarque tourna son regard vers Sevatar.

- Premier Capitaine, la tâche de sélectionner les futurs Chapelains vous incombe. Je sais que ce travail ingrat ne vous sied guère, mais vous êtes celui que je choisis pour mener à bien cette entreprise.

Le Premier Capitaine fit la moue brièvement. Personne ici, même Corten, n'ignorait qu'il était celui en qui leur Père avait le plus confiance.
Cette assignation était tout, sauf illogique.

- Pars sur-le-champ, Corten. Tu peux prendre l'Abhorrent, je t'en confie le commandement. Entoure toi de ceux que tu jugeras utiles à ton entreprise. Mon fils, je place en toi ma confiance, ne me déçois pas...

Il n'y avait nul besoin d'en dire plus. L'avertissement était terriblement clair.
Au-dehors, des lances de lumières apparurent alors que les vaisseaux lançaient leurs modules d'atterrissage à l'assaut de la planète. Les défenses orbitales ouvrirent le feu et bientôt, le ballet des vaisseaux et des ogives dessina des arcs colorés dans le silence de l'espace.
Les sables de ce monde seraient bientôt gorgés de sang.

Les yeux du Primarque semblèrent se perdre dans le vide l'espace d'une seconde, avant qu'il se rasseye sur son trône.

- Enseigne-leur, Corten. Fais leur comprendre la souffrance et débarrasse leurs cœurs de toute pitié. Apprends-leur l'implacabilité.

Le sourire qui se dessina sur le visage de Konrad n'en était pas un.
Il découvrit ses dents acérées ; un tableau fracturé à la gloire de la cruauté.

- Et quand ce sera fait, Corten, enseigne-leur la vengeance.





*






Chapitre XIX - Imago




Chapitre XIX

Imago









La passerelle renvoyait en échos les pas lourds de son armure. Le bleu nuit de la céramite contrastait avec le bronze de ses bordures. Il tenait sous le bras un casque sculpté en forme de crâne, encadré d'ailes pourpres. À ses épaulières massives étaient soudées des lames irrégulières, imitant des griffes recourbées autour de son visage. Sur son plastron imposant se déployaient des ailes squelettiques. Comme un ossuaire à ciel ouvert, elles se rejoignaient sous un crâne exposé au centre de son torse.
Un crâne trop vrai, et trop jeune.

A chacun de ses pas, l'Astartes passait devant un frère. Ils se tenaient en rangs serrés, immobiles, leurs casques aux lentilles grenat se reflétant les uns dans les autres alors qu'ils se faisaient face en deux colonnes. Devant à lui se tenaient deux guerriers. Il ressentit une nostalgie singulière alors qu'ils se tournaient vers lui. L'un possédait une armure ouvragée, finement entretenue, et portait à sa ceinture un épais grimoire. Ses traits patriciens étaient surplombés par une excroissance de son armure qui remontait au-dessus de sa tête. L'autre n'avait pas de visage, seulement un faciès artificiel dénué de vie et mû dans une armure noire usée, d'où pendaient des parchemins et quelques ossements.
Alors qu'il arrivait devant eux, une forme plus sombre encore, aussi haute que lui, se détacha des ombres. Elle affichait des crocs aussi malveillants que le casque qu'il portait sous le bras et son feulement flotta dans l'air comme un orage. Le cougar s'approcha doucement, la tête basse en signe de soumission.
L'Astartes posa une main sur son épaule avant de le fixer dans les yeux. L'animal recula d'un pas et retourna dans l'ombre où il demeura, patrouillant en silence autour de la passerelle.

- L'as-tu nommé ? Demanda Lebian.

L'autre lui rendit un sourire, ses yeux bleus barrés d'une succession de cicatrices, affichant une certaine malice.

- Non, frère-Archiviste, mais cela ne saurait tarder.

- Une machine à tuer n'a pas besoin de nom, répondit Corten.

Aux portes de la passerelle, quelqu'un éclata de rire.

- C'est l'hôpital qui se fout de la charité, avec tout mon respect, Chapelain.

Tous les regards se tournèrent vers Veryn. Le sergent appuyait son épaule à l'encadrement du sas, affichant son éternel sourire narquois. Bien que personne ne dise mot, aucun Astartes n'était dupe quant à l'effort que fournit Corten pour rester silencieux.
Un rayon lumineux creva la baie d'observation. La lueur froide fit jouer les ombres sur le sol d'acier alors que le soleil se levait derrière Nostramo.

Le Chapelain dégaina un poignard ouvragé et le tendit à l'Astartes devant lui. Ce dernier prit la lame dans ses mains et l'examina. L'acier reflétait en un croissant aiguisé les rayons de l'étoile mourante. Il savait ce qu'il avait à faire. Dans un geste calme, il déverrouilla un gantelet et le retira. Lentement, il fit glisser la lame en travers de sa main. Un filet écarlate macula le pont alors que quelque part, le flair bruyant du cougar se fit entendre.

- Par les prérogatives liées à mon rang, par le sang que tu as versé et par ton serment envers notre Père et la légion, sous les yeux de tes frères, Cineris Vytraan, en cette nuit je te nomme Capitaine de la 2ème compagnie.

L'escouade complète frappa son plastron du poing en un coup de tonnerre parfaitement synchronisé. Le Chapelain fit s'approcher deux membres d'équipage, qui portaient quelque chose de lourd dissimulé sous une bannière.
Corten tira sur l'étendard et deux servo-crânes pincèrent le tissu par les extrémités pour le dresser vers le plafond. Les motifs brodés représentaient l'orbe noir de Nostramo surmonté d'un crâne de cougar derrière lequel se déployaient des ailes rapaces.

La beauté de l'ouvrage laissa Vytraan sans voix. Quand il baissa les yeux, il constata que la bannière ainsi déployée avait révélé l'objet encombrant porté par les serfs. C'était une épée-tronçonneuse. Pas un modèle réglementaire à en juger par sa taille. Elle ne possédait pas une, mais deux rangées de dents en adamantium.

Corten hocha la tête, de son visage sans expression.

- Manie-la bien, fils de Nostramo. Tous, soyez aussi meurtriers que cette arme, au nom de l'Empereur et de notre Père ! Plantez sa bannière dans le cœur de vos ennemis pour que jamais plus personne n'ose la regarder !

- Notre Père a placé en vous des espoirs singuliers, reprit Lebian, et il a choisi de faire de vous ses bourreaux les plus terribles. Vous êtes les premiers d'un nouveau genre, un genre qui purgera la légion de ses points faibles.

- L'Abhorrent rejoindra bientôt la 205ème flotte expéditionnaire. Notre Père nous rappelle à lui, mais seuls Lebian et moi demeurerons à bord pour accueillir et encadrer ceux qui nous remplaceront pour recruter les futurs initiés. Nous allons gonfler les effectifs de la 2ème Compagnie avec la même rigueur que celle dont nous avons fait preuve avec vous.

Une alarme de proximité retentit. Par la baie d'observation, une nef sombre apparut, baignée dans les rayons malades de l'étoile. Sa forme était celle d'une dague, surplombée de superstructures évoquant une cathédrale sinistre.

- Voici, déclara Corten, le présent de notre Père à la 2ème Compagnie.

Vytraan avança de quelques pas, la mine concentrée, pas tout à fait habitué au poids de l'épée verrouillée à son ceinturon. En lui s'éveilla une ambition des plus agréables.

- Il est unique, reprit le Chapelain, désignant de vaisseau d'un geste de la main. Taillé pour les projections en territoire ennemi. Très faible signature énergétique, vitesse, puissance de feu. Sa taille en fait un vaisseau polyvalent et largement dissuasif.

Il n'avait pas eu besoin de le souligner. Vytraan admirait l'agressivité du croiseur, la pureté de ses lignes, la violence contenue qu'il représentait. C'était un chasseur, comme lui. Un tueur silencieux, capable du simple meurtre comme du génocide.

Veryn traversa la passerelle en silence, pour se tenir près du nouveau Capitaine. Il croisa les bras, désignant le vaisseau au-dehors d'un coup de menton.

- À celui-là aussi, tu vas devoir trouver un nom.

Vytraan nota intérieurement le ton qu'employait le sergent à son encontre, mais se rappela que personne ne pourrait jamais faire respecter la discipline à Veryn, pas même leur Père. Il maintint ses yeux rivés sur le croiseur qui flottait dans la couronne bleutée de l'étoile. Cela le ramena à cette légende dépeignant la bête impitoyable qui châtiait les imprudents perdus dans ses eaux froides.
Un nom approprié. Les mots du Premier Capitaine, prononcés en un autre temps, refirent surface dans son esprit. Vytraan ne put réprimer un sourire.

- Leviathan.





*







Chapitre XVIII - Rêves suicidés




Chapitre XVIII

Rêves suicidés









Ils lui avaient tout pris.

Son identité. Son corps. Sa liberté. Sa vie était devenue un cauchemar depuis un temps qu'elle était incapable d'estimer. Au début, elle avait fait preuve de bonne volonté, désireuse de servir. Après tout, elle n'avait pas eu le choix.
Ils l'avaient emmenée parce qu'elle était jeune et en bonne santé.
Le voyage depuis Nostramo l'avait pourtant rendue malade. À son arrivée sur le vaisseau de guerre, l'étincelle d'émerveillement qu'elle ressentait fut soufflée par cet environnement froid rempli d'automates difformes.
Le guerrier qu'ils appelaient « Veryn » s'était allègrement moqué d'elle, au point d'en faire son écuyère personnelle. Tous les jours, pendant des heures, elle décapait, nettoyait et polissait les portions d'armure de l'Astartes qui les lui ramenait toujours plus délabrées. Elle demeurait dans sa cabine crasseuse, les yeux perdus dans le vide. Quand il arrivait, trempé de sueur, elle devait l'aider à ôter son armure encroûtée du sang des serviteurs d'entraînement.
Quand elle n'allait pas assez vite pour lui, surtout au début, il lui arrivait de l'attraper par le cou et de la jeter contre un mur.
Elle avait cru avec le temps que peut-être, il finirait par la remercier. Ses petits doigts étaient de plus en plus abîmés alors qu'elle mettait tout son cœur à l'ouvrage en dépit des humiliations et des coups que lui portait son maître.

Elle l'avait attendu, une fois, derrière la porte. Préparée et prête à faire son travail. Pensant bien faire, elle était sortie chercher un bidon d'eau fraîche et avait rempli deux verres, espérant que cette fois peut-être, il verrait en elle autre chose qu'une esclave, et qu'il lui parlerait un peu.
Lorsqu'il était entré, il n'avait aucunement fait attention à elle. Il s'était assis, attendant comme à l'accoutumée que son écuyère commence à déverrouiller son armure. Quand elle s'était approchée avec son verre d'eau, se forçant à sourire un peu, Veryn l'avait foudroyée du regard.

- Tu te fiches de moi ? Avait-il demandé.

L'effroi qu'elle avait ressenti à ce moment n'avait égalé que la violence du coup de poing qu'il lui avait asséné. Elle avait heurté le mur de la cabine avec une telle force qu'elle en perdit conscience quelques secondes. Quand la douleur la réveilla, elle sentit quelque chose bouger dans sa bouche, et elle cracha plusieurs dents qui mêlèrent leur sang à l'eau renversée du verre brisé. Elle n'eût le temps de lever les yeux que pour voir son maître la regarder avec dédain.

L'enfer avait alors commencé.

Ils l'avaient traînée sans ménagement dans les entrailles du vaisseau, là où la seule lumière était celle des générateurs à plasma. La vie ici n'en était pas une, rien n'était vivant, à quelques rares exceptions. Les automates à qui Veryn l'avait confiée ne parlaient pas et ne ressentaient rien. Au milieu de la masse grouillante de serviteurs affairés, elle se sentait plus seule que jamais.
Après quelques semaines ou quelques mois, elle n'aurait su le dire, de travail intensif et de malnutrition, elle commençait à perdre pied avec la réalité. Aucune interaction, aucune attention, les quelques membres d'équipage humains lui adressaient à peine la parole. Lors d'un travail sur un système de dérivation, ses doigts furent brisés par la fermeture soudaine d'un clapet anti-retour. Elle avait bien tenté de se dégager, d'appeler au secours, mais personne n'était venu. Elle resta ainsi coincée des heures durant, pleurant au milieu du troupeau de serviteurs qui n'entendaient rien à ses cris.
Un technicien avait fini par la trouver par hasard, blême et inanimée.
Quand elle s'éveilla dans le centre de soins de l'équipage, elle mit du temps à se souvenir de sa mésaventure. Elle voulut porter les mains à son visage pour se frotter les yeux, mais ses mains n'étaient plus là. Des membres grossiers, vissés dans ses poignets, les avaient remplacées.

Ce qui lui restait de combativité s'effondra, emportant avec lui tout espoir d'un avenir meilleur. Elle fut renvoyée à son travail peu de temps après, sans ménagement. Ses chairs n'étaient pas encore cicatrisées quand elle fut poussée en avant par un serviteur, insensible comme les autres à toute considération. Elle peinait à se relever quand ses yeux accrochèrent une paire de bottes qu'elle ne connaissait que trop bien. Son ancien maître se tenait devant elle, et il attrapa ses poignets douloureux pour la soulever comme un jouet. Ce visage cruel pour lequel elle avait fait de son mieux, qu'elle avait essayé de fissurer pour révéler l'humanité derrière le monstre, découvrit un sourire sadique alors qu'une chaleur immense transperçait ses jambes.
Elle hurlait et pleurait de toutes ses forces alors que l'Astartes l'emmenait ailleurs dans le vaisseau. Après un voyage d'une éternité infernale, il la jeta dans une grande salle. Ratatinée et en sanglots, elle regarda ses jambes pour découvrir avec horreur que ses genoux avaient disparu, remplacés par des moignons de chair calcinée.
Ses pleurs étaient repris en échos par les murs stériles. Elle laissait son regard dériver, cherchant une quelconque présence malgré les larmes qui floutaient sa vision. Combien de temps resta-t-elle ainsi, morte de chagrin et de froid ?
Elle pensa à ses parents. Comme ils devaient avoir honte d'elle s'ils la voyaient.

Une porte s'ouvrit dans le claquement d'un verrou délogé à la charge explosive. Une forme humanoïde émergea de la fumée dans une démarche précise, tournant sans arrêt sur elle-même comme pour chercher une menace.
Elle déglutit péniblement et voulut dire quelque chose, mais ce qui sortit de sa bouche ne fut qu'un râle chétif. Le nouveau venu se tourna instantanément vers elle, approchant à petits pas. Sa carrure n'était pas celle d'un Astartes, même s'il était plus grand que la normale. Son armure était marquée par plusieurs impacts. Des lambeaux de tissus pendaient de sa silhouette boiteuse. Quand il ne fut plus qu'à quelque pas, elle put voir son visage. Il était recouvert de sang et barré de cicatrices profondes qui lézardaient sur ses traits. Sa fatigue et sa concentration se lisaient dans ses yeux, du même gris bleu que le ciel de Nostramo.
Son cœur monta dans sa poitrine et ses sanglots reprirent de plus belle, rendant à sa voix le timbre enfantin qu'elle avait depuis longtemps perdu.

- Halek...

Il avait scanné tous les secteurs de la pièce avant de s'avancer vers le corps larmoyant étendu sur le sol. Tous ses instincts hurlaient au piège, à l'appât, mais pour une raison qu'il ignorait totalement, il continuait d'avancer.
Le corps en ruines qui se trouvait là était maigre comme la mort. En lieu et place de mains se tenaient des pinces grossières. De ce qui restait de ses jambes montait une odeur de viande brûlée. Son visage creux, aux cheveux rasés, était marqué par des cicatrices en tous genres et sa peau avait une teinte maladive.

Son regard croisa celui de la créature. Celle-ci sembla alors pleurer, dans une parodie de tristesse. Il était en train de se demander où était le piège quand elle prononça son nom. Le choc lui glaça le sang.

- Celyne ?

Le son d'une porte le tira des pensées horribles qui commençaient à pulluler dans son esprit.

Que lui était-il arrivé ?

Qui l'avait amenée ici ?

Pourquoi ?

Une sourde appréhension grandit en lui comme les pas blindés et le grondement des armures énergétiques se rapprochaient. Corten et Lebian vinrent se tenir sur l'estrade au-dessus de lui. Derrière eux se tenait un Astartes qu'Halek n'avait encore jamais vu, au visage mauvais et couturé de cicatrices. La voix puissante du Chapelain résonna dans la salle.

- Initié Numéro Neuf. Tu as passé avec succès toutes les étapes de ton épreuve. Ton dernier défi sera celui qui scellera à jamais ton lien avec la 8ème légion, ou constatera ton échec. Cette esclave a commis une faute grave dont le prix à payer est la mort.

Halek sentit quelque chose se briser en lui. Son regard accrocha celui de l'Archiviste, qui l'avait sans doute senti lui aussi. Pour la première fois, il doutait. Il doutait de tout.
Dans le raclement de ses chenilles métalliques, un serviteur roula depuis la porte opposée, portant une arme qu'il tendit à l'initié. Halek regarda l'engin avec dégoût. Son canon ventilé et son réservoir étaient reconnaissables entre mille. Il retint un haut-le-cœur de toutes ses forces. Le regard vide, il tendit une main réticente vers le lance-flammes.

- Rend la sentence, fils de Nostramo. Purifie par le feu, la pitié qui inonde ton âme ! Ordonna Corten.

L'initié prit l'arme à deux mains, allumant la tête enflammée qui prit vie instantanément, dans un son feutré.
Il approcha doucement de ce qui restait de Celyne, tremblant alors que son esprit livrait une guerre pleine de contradictions, mais il était trop tard.
Bien trop tard...
Rien ne pourrait plus changer maintenant.

Halek parla d'une voix calme, sur le ton le plus chaleureux qu'il ait employé de sa vie. Il réalisa que jamais auparavant, il ne lui avait parlé comme ça.
Il se détesta aussi sûrement qu'il détesta sentir des larmes monter dans ses yeux. Elle lui avait sauvé la vie...

- C'est pour le mieux... murmura-t-il d'une voix tremblante.

Celyne hocha faiblement la tête. Elle rassembla ses dernières forces pour, de ses traits trop jeunes, dessiner un sourire bienveillant sous ses yeux noirs baignés de larmes. Sa voix était résignée et frémissante.

- Ne m'oublie pas, s'il-te-plaît...

Son cri fut aussi aigu que bref.
Le jet de flammes la carbonisa instantanément, et une fumée puante monta en une gerbe sinistre vers le plafond. Halek maintenait le doigt crispé sur la détente comme s'il avait le pouvoir d'effacer un mauvais rêve. Alors qu'il fixait le brasier, il essaya de se convaincre que c'était la chaleur qui le faisait pleurer.

Lebian était concentré sur l'initié, sentant le conflit et la tristesse se mêler à la rage et à la haine. L'épreuve était réussie. Il jeta un œil derrière lui à l'attention du Premier Capitaine. Ce dernier demeura impassible. Contre toute attente, ce fut Corten qui parla.

- Croyez-vous qu'il faillisse, Lebian ? Demanda-t-il à voix basse.

L'Archiviste prit une seconde de réflexion.

- Non, Premier Chapelain. Il sera ce que notre Père attendait de nous. Les passions les plus violentes naissent dans la douleur.

Halek avait baissé son arme vide et, d'un pas peu assuré, était venu se mettre au garde-à-vous face à ses maîtres, les doigts resserrés sur son cœur. Sa voix puissante traduisait une assurance forcée.

- Initié Numéro Neuf, à vos ordres, messeigneurs.

La chaleur du feu lui brûlait le dos, mais il n'en avait cure.

- Initié, répondit Corten d'une voix forte. En cette nuit d'épreuves tu as démontré tes talents et ta capacité à semer la mort. Par le passé, tes actes et tes décisions en tant que chef de section ont aussi prouvé ton sens tactique et opérationnel. Sous le regard du Premier Capitaine de la 8ème légion, nous te baptisons Astartes et t'accordons le privilège de recevoir le patrimoine génétique de notre Père, Konrad Curze. Puisses-tu, par tes actes et tes paroles, garantir la pérennité de ses enseignements et porter le combat au-devant de ses ennemis jusqu'à la nuit de ta mort.
A partir de maintenant, personne ne te connaîtra plus sous le nom d'Halek ni de Numéro Neuf. Après concertation, l'Archiviste Lebian et moi-même avons convenu que chacun d'entre vous recevrait un nom à la fois terran et nostramien pour que jamais vous n'oubliez ce que nous vous avons appris ni ce que vous avez vécu dans ce vaisseau.

Le Chapelain marqua une pause, le temps de jeter un bref regard à Lebian, qui acquiesça. Il ramena ses yeux sur l'initié, et sa voix tonna plus fort encore, résonnant contre les parois d'acier.

- Cineris Vytraan, fils de Nostramo, nous te reconnaissons.

Le Chapelain et l'Archiviste recourbèrent leur main sur leur poitrine.

- Ave Dominus Nox.

Celui qui avait été Halek répondit au salut de ses anciens maîtres, avant que ne monte dans la salle un ricanement authentiquement cruel.
Il n'avait pas échappé à l'initié que ce nouveau nom était la traduction du mot cendres, et encore moins au Premier Capitaine.

- Un nom approprié, Premier Chapelain, ricana Sevatar en tournant les talons.





*






Chapitre XVII - Instinct




Chapitre XVII

Instinct









Le dédale manquait de lui faire perdre la tête. Halek progressait le plus furtivement possible, aux abois pour déceler le moindre piège, le moindre danger. Il se sentait à nouveau vulnérable, à la merci des yeux qui scrutaient ses moindres faits et gestes. Comme à son habitude, il détestait cela.
Les parois du labyrinthe était trop hautes pour s'y agripper et il devait se contenter d'avancer en mémorisant tant bien que mal le tracé de son parcours. Il laissait pourrir derrière lui un groupe de serviteurs. Ils ne représentaient plus une menace sérieuse depuis longtemps. La supériorité physique et mentale de l'initié les avait réduit au silence en un temps record, mais Halek ne se reposait pas sur ses lauriers. Une embuscade bien tendue pouvait renverser le cours des choses.

La lame aiguisée n'est rien face à l'éboulement, disait Veryn. Si le sergent avait su se rendre détestable, Halek et les autres s'étaient parfois retrouvés ébahis par le bon sens de ses paroles. Mais ce n'était pas le moment de verser dans la poésie. Halek devait trouver la sortie menant à son objectif.

Il prit un instant pour reprendre son souffle avant de glisser la tête au coin du mur. Rien à signaler, mais une appréhension lui collait à la peau depuis le début de l'épreuve. Comme si son parcours n'était qu'une traque. Si l'idée de chasser lui avait secrètement plu, la longueur et la configuration du lieu lui donnaient de plus en plus la désagréable impression que son rôle n'était pas celui qu'il pensait être.
Une impression qui lui collait à la peau comme son ombre.
Il reprit sa progression, marchant à pas de loup le long des parois froides et décapées. Une de ses mains caressait le métal des murs du bout des doigts pour y détecter la moindre aspérité qui pourrait dissimuler un piège.
Au toucher, il devinait des surfaces croûtées et irrégulières. Du sang séché et des fragments de peau momifiée tapissaient certaines portions du corridor.
Il était tombé par deux fois sur des corps décharnés et tellement secs qu'un simple souffle aurait pu les effriter. Rien d'utile cependant dans leurs uniformes. Halek se contenta de les dépasser en prenant garde à ne briser aucun os sous ses pieds.

Son autre main était cramponnée au pistolet rudimentaire ramassé sur le cadavre d'un serviteur. L'arme lui semblait tout sauf opérationnelle et l'aspect de ses munitions laissait présager un emploi risqué. Son couteau était rangé dans son fourreau, mais l'étroitesse du lieu favorisait l'emploi d'une arme de poing. Il savait que ses maîtres l'observaient et qu'il n'avait pas le droit à l'erreur. Pour recevoir le patrimoine génétique de la légion, aucune faiblesse ne serait tolérée. Halek n'aurait su en tolérer chez ses hommes pas plus qu'en lui-même. Il ne pouvait qu'espérer que les autres s'en sortent aussi bien que lui, moins pour leur sort que pour ses propres échecs en tant que chef de section.

Il arrivait au bout du couloir quand ses sens captèrent un son inhabituel.
Halek se maudit presque d'avoir laissé son esprit divaguer l'espace d'une seconde et assura une prise à deux mains sur la poignée de son pistolet, reculant à petits pas tout en gardant la mire de son arme pointée vers le virage d'où approchait un bruit cliquetant. Une forme animale émergea lentement au détour du couloir. Halek reconnut la bête et jura intérieurement. Ses doutes étaient fondés, mais il ne s'attendait pas à se retrouver face à face avec un cougar.
Le jeune félin lui arrivait à hauteur de coude et possédait déjà les canines distinctives de son espèce. Son feulement roula dans le couloir tel un orage lointain, en une menace beaucoup trop réelle. Il déploya ses plaques dorsales en signe d'intimidation et avança lentement au ras du sol, ses oreilles rabattues en arrière. Ses babines retroussées découvraient une rangée de crocs, comme un sourire, alors qu'elle savourait à l'avance le carnage à venir.

Halek sentit l'ivresse du combat le gagner et campa ses yeux dans les puits sans fond qu'étaient ceux de la bête. Malgré le danger de la situation, il ne put empêcher le flot d'adrénaline d'envahir son corps et d'irradier en lui comme un stimulant galvanisant. Il se prépara à recevoir la charge en fléchissant les jambes, prêt à bondir de côté à l'instant où l'animal viserait sa gorge.

Le cougar prit soudain sa foulée et couvrit en un éclair la distance qui le séparait de sa proie. Halek prit sa visée et appuya sur la détente. Le tir fut à l'image de l'arme, laborieux. La détonation fit éclater le canon, projetant un nuage d'éclats métalliques dans toutes les directions. Halek n'avait pas attendu de jurer intérieurement pour se jeter sur le côté, esquivant la masse de griffes qui rugit en manquant sa cible. L'initié se ramassa en une roulade et se retrouva à moitié affalé contre le mur.
Il tira son couteau alors que le fauve avait déjà refait mouvement, sautant contre la paroi du couloir pour se catapulter avec une force encore plus grande vers sa proie. Le choc les fit partir à la renverse tous les deux et ils s'écroulèrent contre un corps desséché dans le bruit creux de ses os brisés.

Halek parvint à attraper une patte du prédateur maintenant au-dessus de lui, mais ce dernier possédait une telle force qu'il n'y prêta aucune attention et se dégagea avant de trancher l'air de ses griffes acérées. L'initié eut à peine le temps de tourner la tête par réflexe avant de sentir la douleur infernale faucher son visage et la chaleur du sang, son sang, ruisseler dans ses yeux et son cou. Sa main serrait toujours son couteau mais la patte puissante de la bête tenait son épaule plaquée au sol. Le grognement caverneux du jeune cougar sonna comme un glas dans les oreilles de l'initié alors que le fauve reniflait sa prise, comme pour se délecter du parfum de son sang avant la mise à mort.

Le souvenir de Dorkh surgit dans l'esprit d'Halek. Il se revit sous la pluie, agrippé aux arrêtes coupantes, les jambes dans le vide. Il était alors dans la même situation, en sang et impuissant, à la merci de son adversaire.
Quelque chose naquit en lui. Un noyau rageur, volcanique, qui inonda son corps d'une agressivité qu'il n'avait jamais connue.
Jamais plus. Jamais plus ne se retrouverait-il en telle position de faiblesse, à la merci de qui que ce soit. Il maudit Dorkh, il maudit sa planète et ce qu'elle l'avait forcé à faire, il maudit Veryn et son arrogance, et par dessus tout, il se maudit lui-même.

Sa main libre attrapa un éclat d'os et le planta dans le flanc du cougar.
Ce dernier gémit bruyamment et relâcha toute prise sous la douleur. Regagnant sa mobilité, Halek poussa l'animal de côté et il hurla d'une voix inhumaine alors qu'il jetait de désespoir ses propres dents sur la jugulaire de l'animal. Le cougar se débattit comme un diable, lacérant les épaules et le dos d'Halek, mais l'initié ne sentait plus rien.
Ni le rugissement assourdissant du cougar qui lui vrillait les tympans, ni les ergots acérés qui tailladaient ses chairs.

Son sang pouvait bien couler.

Il reprit de la hauteur en appuyant son avant-bras sur la gorge du cougar, l'étranglant alors qu'il remuait dans son fourreau de chair l'os coupant qui lui servait de poignard. Une fois de plus, leurs yeux se croisèrent. La rage qu'ils éprouvaient, l'instinct primal qui les animait, leur volonté de survivre, Halek les vit dans le regard ténébreux de l'animal.

Petit à petit, la bête ne lutta plus. Son souffle était toujours aussi rapide, mais elle n'esquissait plus aucun mouvement. Halek mit du temps avant de se rendre compte qu'une voix l'appelait, loin hors du brouillard de violence qui occupait son esprit.

- Tu perds du temps, Numéro Neuf.

Impossible pour lui de dire si la voix dans le haut-parleur était celle du Chapelain, de Lebian ou de Veryn. Il se releva péniblement, dominant le cougar qui gisait maintenant dans une mare de sang. Halek sentait que ses propres vêtements lui collaient à la peau tant ses blessures étaient nombreuses.
Les coupures qu'il avait reçu à la tête se firent douloureusement sentir alors que son visage se tordait de douleur, tirant sur les plaies profondes.
Les cellules de Larraman avaient beau être efficaces, elles semblaient toujours être trop longues à agir.

Claudiquant, l'initié se remit à avancer le long du couloir. Il devait progresser. Un râle dans son dos le fit se retourner pour voir le cougar se relever avec difficulté. Il était faible sur ses appuis et grondait sourdement sous la douleur.
Ses griffes raclaient le sol alors qu'il essayait de lécher la plaie dans son flanc, sans grand succès. Tournant la tête vers Halek, le cougar feula de nouveau, découvrant ses dents pointues avant de s'en aller en boitant dans la direction opposée, pour disparaître dans le noir.

Halek prit une seconde pour reposer sa tête contre le mur et reprendre son souffle. Il avait failli mourir, mais avait trouvé en lui une fureur nouvelle.
Il revint sur ses pas pour ramasser son couteau, laissant choir par la même occasion l'éclat osseux sur le cadavre à qui il l'avait emprunté. Il cracha à travers ses dents serrées une insulte au pistolet défaillant avant de se remettre en route sans s'attarder de plus belle.

Si ses hommes avaient eu à affronter un cougar eux aussi, il estimait que peu d'entre eux auraient pu survivre. Alors qu'il avançait vers ce qui semblait être la sortie, il pensa que si c'était le cas, il était normal que seuls ceux qui triomphaient voient leur épreuve considérée comme réussie.

À bien y repenser, il n'aurait pas toléré le contraire.





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